ne tient qu'à vous de vous en assurer si vous le désirez. Il est chez elle.?
--?a ne m'apprend pas grand'chose, dit le charretier en serrant le portefeuille dans la poche de son capot.
II
A l'époque où commence cette histoire, Montréal était loin d'occuper l'étendue qu'il embrasse maintenant. Le faubourg Québec, si peuplé aujourd'hui, ne comptait guère que quelques maisonnettes éparpillées à travers de vastes prairies marécageuses et sillonnées de ruisseaux. Sur l'emplacement du paté actuellement borné par les rues Sainte-Catherine et Dorchester, Beaudry et de la Visitation, s'élevait une cahute en bois, appuyée contre quelques hangars et chantiers de la plus chétive apparence.
Cette cahute n'avait qu'un étage; autour régnait une galerie délabrée à laquelle on arrivait par un escalier de quatre marches. Le toit, couvert en bardeaux, se projetait en forme d'auvent au-dessus de la galerie et l'abritait tant bien que mal. Il était surmonté d'une lucarne-demoiselle, alors à demi enterrée sous la neige. La fa?ade de la masure donnait au sud; elle possédait deux fenêtres et une porte basse ouverte à l'extrémité gauche vis-à-vis de l'escalier. Devant cette maison s'étendait la cour, ceinte d'une palissade en souches d'érable, grossièrement empilées les unes sur les autres. Des tas de fumiers, revêtus d'une épaisse couche de glace, et un poulailler, composaient les principaux ornements de la cour, où l'on pénétrait par une frêle barrière, retenue avec des liens d'osier en guise de gonds et fermant au moyen d'une corde qu'on nouait à une cheville fichée dans un montant disposé à cet effet.
La maison appartenait à une vieille femme. Habitation et habitante jouissaient d'une mauvaise réputation. Dans le voisinage on n'en parlait qu'avec terreur. Ceux que leurs affaires obligeaient à passer près de la résidence de la mère Guilloux, ne manquaient jamais de se signer, et le nom seul de la maritorne suffisait pour imposer silence aux enfants criards.
La mère Guilloux n'avait plus d'age. On la disait veuve d'un matelot, que nul n'avait connu. Quand à elle, c'était une grande femme, sèche, osseuse, d'un aspect repoussant. Son visage ressemblait assez à une peau de parchemin desséchée, plissée, recroquevillée par la chaleur. Pommettes, maxillaires, saillissaient affreusement. Le front était étroit aux tempes, bas, déprimé, en grande partie caché par des mèches de cheveux blanc-sale qui s'échappaient d'un bonnet d'indienne dont la couleur primitive avait disparu depuis longtemps sous un triple enduit de graisse. De petits yeux ronds, forés en trous de vrille, un nez écrasé, aplati comme par un coup de marteau, une bouche énorme, dépouillée de sa lèvre supérieure et laissant à nu quelques crocs jaunatres, un menton couturé par une cicatrice cruciale, aux bords de laquelle avaient cr? des touffes de poils gris, achevaient de justifier l'effroi superstitieux que cette hideuse créature répandait autour de sa personne et de sa propriété.
D'où venait la mère Guilloux? Problème!
Dix ans auparavant elle s'était installée dans la baraque que nous avons décrite, après l'avoir achetée à un pêcheur, et depuis lors elle y vivait Quels étaient ses moyens d'existence? Autre problème aussi insoluble que le premier.
Les commères du quartier prétendaient bien que la mère Guilloux entretenait doux commerce d'amitié avec le diable, et qu'elle devait à l'esprit malin les beaux louis d'or que chaque semaine elle échangeait au marché contre les primeurs de la saison; mais le diable est ordinairement un pauvre hère, plus chargé de conscience que de piastres, et nous doutons que malgré sa prétendue tendresse pour l'ame de la mère Guilloux il e?t été capable de se constituer le banquier-pourvoyeur de son estomac.
Comment la mère Guilloux employait-elle ses journées? Troisième mystère qu'aucun Oedipe n'avait pu percer.
Ce n'est pas qu'on n'e?t tenté d'en déchirer le voile; Dieu merci! à Montréal, aussi bien que partout ailleurs, il ne manque pas de gens plus enclins à soigner les intérêts des voisins que les leurs. La charité est si excellente vertu! Mais, en cette occasion, madame Charité s'était bourgeoisement cassé le nez. La mère Guilloux ou la Camarde, comme on l'appelait communément, témoignait peu de go?t pour la société. Et les intrépides bienfaitrices qui avaient essayé de porter leur curiosité dans son asile avaient été d?ment éconduites par le cerbère du logis, un certain chien-loup, malingre, décharné comme sa ma?tresse, mais possesseur, au reste, de splendides machoires qui auraient émerveillé nos dentistes-osanores.
Ce chien-loup se nommait Hurleur.
En été, mons. Hurleur g?tait sous la galerie, en hiver il se promenait flegmatiquement au-dessus. Jamais il ne désertait son poste. Quelqu'un approchait-il trop près de la cl?ture, le fidèle portier s'élan?ait dans la cour, se dressait sur ses pattes de devant contre la barre transversale de la barrière, et montrait coquettement à l'audacieux ses dents blanches et aigu?s. C'était vraiment un chien-modèle. Les Fran?ais lui auraient, sans nul doute décerné le prix Monthyon. Moins appréciateurs des nobles qualités que les Fran?ais, les Canadiens ne tenaient pas notre animal en haute estime.
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