défaut.
Mais, pour se risquer à demander sa nourriture à une pareille bête, pesant deux à trois mille livres, il faut avoir des armes, être-en nombre; Dubreuil était seul, il n'avait pas d'armes. Devait-il imposer silence à son appétit? devait-il fermer impitoyablement l'oreille aux gémissements de son estomac? devait-il détourner les yeux de cette masse, de graisse luisante; fascinatrice, j'allais dire parfumée, qui l'entretiendrait dans l'abondance durant des mois entiers! car près du p?le les ménagères ont un avantage très-appréciable: les vivres ne craignent guère la corruption; ils s'y conservent indéfiniment. J'en appelle au mammouth trouvé, vers 1806, à l'embouchure de la Lena, dans une masse de glace où il gisait depuis... le déluge... et avant peut-être!--sans que ses chairs se fussent gatées, puisque les chiens du XIXe siècle en dévorèrent une bonne partie!
Oui, en y réfléchissant bien, il e?t été dur, trop dur d'abandonner semblable magasin de comestibles sans tenter de s'en emparer. Le moyen? Dubreuil f?t sonner sur la glace la hampe de son croc à lance, et, vaillamment, prudemment, il marcha droit au morse.
L'animal le vit venir sans trop s'émouvoir, il paraissait plus surpris qu'intimidé.
Dubreuil s'en put approcher assez près pour tenter de lui porter un coup. Tenant ferme la lance par le milieu, il l'éleva à la hauteur de sa tête et la darda de toute sa force contre l'énorme amphibie. Il s'imaginait que le fer allait dispara?tre tout entier dans son flanc. Point. L'arme rebondit, sans avoir entamé l'épaisse carapace.
Cependant l'hippopotame pousse un grognement de colère. Ses prunelles enflammées flamboient; il dresse son mufle affreux, et, s'affermissant sur la queue, il s'élance, fond contre l'ennemi avec un effroyable fracas. Guillaume a prévu ce mouvement; il est sur ses gardes. Comme le colosse ne se peut mouvoir que tout d'une pièce, Guillaume s'est jeté de c?té, et le walrus retombe lourdement, en soufflant comme un boeuf.
De nouveau, le harpon de l'homme est prêt; de nouveau il siffle dans l'air et frappe l'animal. Cette fois il l'atteint à la poitrine, au moment où le morse tournait la tête pour se rejeter sur son agresseur, en conséquence la peau, tendue comme celle d'un tambour, est facile à percer. La lance y plonge jusqu'au crochet. Mais là elle s'arrête; les efforts de Dubreuil ne réussissent pas à la faire pénétrer plus avant.
Le morse se débat; il halète; il rugit. Sous ses griffes la glace vole en mille éclats, et sa queue la fait sonner comme le marteau sur une enclume. Bient?t, néanmoins, par un brusque soubresaut, il s'est débarrassé du fer, et Dubreuil, pris à l'improviste, s'en va rouler à quelques pas, son croc dans la main.
Avant qu'il ait eu le temps de se relever, l'animal a couru sur lui. De ses pieds pesants il lui écrase les jambes. Guillaume sent la bouillante baleine du monstre passer sur-son visage, et ses tranchantes canines lui labourer la cuisse. La mort est là, livide, décharnée, affreuse. Elle réclame une victime. Quelques secondes encore, et c'en sera fait. Du malheureux aventurier il ne restera rien, plus rien que quelques lambeaux de chairs informes. Pas une voix n'ira conter à ses amis son épouvantable destin!
Mais, à cet instant critique, Dubreuil n'a perdu ni son sang-froid, ni la s?reté de son regard.
étendu sur la glace, le buste à demi redressé, la lance en arrêt, il recueille et thésaurise, pour ainsi dire, dans son oeil et son bras droit, tout ce qui lui reste de vitalité; il vise à la tête et enfonce profondément son arme dans la gueule béante du morse.
Des flots de sang s'échappent, avec un rauque mugissement, de la blessure. Le mammifère recule, par bonds et par sauts, en battant, comme avec un fléau, la glace, du manche du croc demeuré dans la plaie.
Aveuglé, étourdi, mais fou de douleur, fou de rage, il cherche son adversaire, il respire la vengeance.
Dubreuil s'est remis sur pied, réfugié derrière un gla?on, et il essaie de le soulever pour en broyer le corps de l'animal, qui, dans ses convulsions, vient de casser en deux la hampe de la lance.
Malgré sa bravoure, malgré son flegme, le jeune homme frémit en songeant au danger qu'il a couru. Ses mains tremblantes se refusent à le servir, et tout péril n'a point cessé pour lui, lorsque des cris étranges partent derrière, à sa droite.
Guillaume tourna la tête et aper?ut une douzaine de bipèdes, si grotesques d'apparence, qu'il se demanda aussit?t si c'étaient des singes ou des êtres humains. Ils n'étaient que poil des talons à la tête, et, de leur visage, on distinguait seulement les yeux, les traits étant masqués par une pelleterie ou par un cuir naturellement et très-épaissement velu.
Hommes ou animaux, ces créatures criaient et gesticulaient à l'envi.
Guillaume aurait été fort embarrassé de se prononcer sur leur espèce, quand l'un de ces individus banda tout à coup un arc
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