autre chose que les régions polaires? On rapporte que, dès le IXe siècle, les Norwégiens se sont élevés jusqu'au 68° de latitude, qu'ils y ont colonisé une ?le placée sous le 65°, et qu'un de leurs navigateurs, Oshu, envoyé par Alfred le Grand, tenta, en 873, de traverser le p?le. Ne peut-on, par cette voie, se rendre dans le puissant et luxueux empire du Cathay, dont le livre de Marco Polo, que voilà là sur ma table, fait de si féeriques récits? Oh! trouver ce passage! le trouver! Quelle gloire! Mais je le trouverai, je le veux, et rien ne saurait ébranler ma volonté. Plut?t périr que d'abandonner mon entreprise!...
En achevant ces mots, Guillaume s'était levé le visage rayonnant des feux du génie. Il allait monter sur le pont pour prendre le méridien, quand, soudain, une douzaine de matelots frénétiques envahirent sa cabine, fondirent sur lui et le désarmèrent avant qu'il e?t pu faire un mouvement pour se défendre.
Des accusations sauvages, des menaces plus sauvages encore lui étaient jetées à la face. Mais Dubreuil avait trop de superbe pour essayer de se justifier, ou implorer la compassion des rebelles. L'expression de ?misérables!? fut la seule qui lui échappa. Aussit?t qu'il eut compris l'impossibilité de faire rentrer les mutins dans le devoir, il se retrancha dans une hautaine impassibilité.
On le garrotta, puis on le transporta sur le tillac, on il fut attaché solidement au pied du grand mat.
Les insurgés délibérèrent ensuite sur son sort. Les uns demandaient sa mort immédiate, d'autres se bornaient à désirer son emprisonnement dans la fosse aux lions. Pour concilier les deux partis, Louison le Borgne, qui s'était alors tout à fait rangé du c?té des perturbateurs, proposa de descendre le patron avec une chaloupe à la mer, et de l'y abandonner. Cet avis réunit à l'instant tous les suffrages.
Bient?t un canot flotte à l'arrière du Saint-Remi. On y dépose quelques morceaux de biscuit, quelques livres de lard, et on y jette le malheureux Dubreuil, après avoir tranché ses entraves.
Alors, pour la première fois, il daigne ouvrir la bouche.
--Donnez-moi au moins une carte marine, un compas, une boussole, dit-il.
--Non, brigand, tu n'auras rien, répond Cabochard, en lui montrant le poing du haut de la dunette.
Et d'un coup de hache, il largue la corde qui amarrait la chaloupe au vaisseau.
Au même moment, Guillaume vit son second, qui, monté sur le gaillard d'arrière, avait déjà pris le commandement et ordonnait d'une voix retentissante!
--Pare à virer!
II
LES SAUVAGES
Qui,--au sein d'un rêve charmant, où la gloire et la fortune s'unissaient pour lui faire cortège,--n'a été réveillé en sursaut par le ricanement amer de la fatalité. Combien plus lourdement alors pèsent sur les épaules les afflictions qui suivent, qui assaillent le pauvre mortel dans sa pénible marche à travers la vie! combien plus vivement les pointes acérées de l'incertitude pénètrent ses chairs! combien alors aussi, quand son ame n'est pas bardée du triple airain dont parle le poète, le désespoir y a facile accès!
En moins d'une heure, Guillaume Dubreuil avait d? tomber du pinacle des plus brillantes espérances dans un état voisin de la misère la plus complète, la plus irrémédiable. Quel homme n'aurait perdu la tête, ne se serait abandonné à l'abattement!
Voyez-vous ce mince canot, ce fragile esquif délaissé au milieu d'un océan courroucé, dont les vagues vert-sombre ne montrent à l'oeil qu'un gouffre sans fond, et rugissent, comme des tigresses décha?nées, contre les montagnes de glaces, aux tranchantes arêtes, qu'elles bercent avec une amoureuse fureur, en les couvrant de baisers dévorants!
La voyez-vous danser à la pointe des lames, la frêle embarcation! Ne tremblez-vous pas qu'elle soit, tout à l'heure, brisée comme verre ou engloutie dans les flots inexorables!
Et cet homme, ce malheureux, il va périr aussi! Qui le pourrait sauver? Qui pourrait l'arracher aux fatals embrassements de l'ab?me jaloux de sa proie? Car loin, loin s'en est allé le navire où naguère commandait en souverain ma?tre cette victime des passions humaines. De son canot il ne distingue plus, hélas! que les perroquets du vaillant Saint-Remi, si ferme à la mer, si docile à la brise, si propre à captiver les tendresses d'un vrai marin.
Encore quelques moments, elle hardi vaisseau dispara?tra tout à fait, Guillaume Dubreuil restera seul, seul avec sa pensée en face de l'immensité, de l'éternité.
Rassurez-vous pourtant. Notre capitaine n'a pas été pétri de la même argile que le commun des hommes. Ainsi que sa charpente physique, son moral est un composé de bronze et d'acier, et le sang qui coule dans ses artères a les propriétés du vif-argent.
Dès que l'amarre qui retenait le canot au Saint-Remi eut été coupée, Guillaume arrima rapidement ses provisions, puis il fixa dans la carlingue un petit mat oublié au fond de l'esquif, avec une voile, et envergua cette voile, qu'il déploya, après avoir reconnu l'aire de vent.
Il soufflait grand frais du nord-est.
Guillaume savait
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