La fiancée du rebelle | Page 9

Joseph Marmette
de gavotte avec moi.
En passant devant les deux joueurs de violon, Alice leur demanda l'air qu'elle désirait.
Les violons attaquèrent aussit?t une gavotte. C'était un air lent à deux temps, se coupant en deux reprises dont chacune commen?ait avec le second temps et finissait sur le premier. Les phrases et le repos en étaient marqués de deux mesures. C'était une danse toute fran?aise que la gavotte. Vers le temps qui nous occupe, la reine Marie-Antoinette la dansait à Paris avec toute la perfection désirable. La gavotte disparut en France après la Révolution et n'y fut jamais bien populaire.
Comme elle ne s'exécutait qu'à deux personnes et concentrait sur elle l'attention de toute la salle, malheur à celles que leurs vilains pieds ou leur tournure commune n'auraient pas tout d'abord empêchées d'y figurer. Il fallait déployer dans la gavotte une telle souplesse, une si grande aisance et tant de grace dans les mouvements, que la tache était difficile pour toutes autres que de très-élégantes personnes.
Alice, la mignonne jeune fille, n'avait pas à redouter cette épreuve. Et peut-être aussi, par une coquetterie bien innocente, la recherchait-elle à dessein pour mieux faire valoir son élégance et ses graces incontestables. Ses petits pieds de fée trottaient si gentiment au bas de sa polonaise de soie rose; les hauts talons rouges de ses bottines de maroquin battaient si bien la mesure et d'un air si mutin; sa taille souple et fine se pliait si gracieusement sur les larges paniers qui gonflaient la jupe de sa robe dans ses tournoiements de sylphide.
Et certes son partenaire lui faisait honneur. En ces temps où la danse ne consistait pas encore dans un marcher absurde, Marc Evrard passait pour un beau danseur d'assez petite taille, il y avait dans toute sa personae une harmonie parfaite. Son bas de soie bien serré au-dessus du genou et ses souliers talons hauts dessinaient avec avantage le relief d'un mollet des mieux tournés, ainsi qu'un pied tout aussi bien cambré que celui, d'aucun homme de race; et puis il tendait si galamment sa main nerveuse et fine à la petite main de sa danseuse, que les plus jolies femmes se seraient senties ravies de danser avec lui.
La gavotte finie, et comme deux autres personnes commen?aient un menuet, vieille danse fran?aise à peu près semblable à la gavotte, M. Cognard entra dans la salle.
Dès qu'il aper?ut le capitaine Evil, il courut plut?t qu'il ne marcha à sa rencontre et lui serra avec effusion la main dans les deux siennes.
Le capitaine qui, depuis quelques instants, regardait fréquemment du c?té de la porte et semblait attendre quelqu'un avec impatience, parut enfin satisfait. Il passa familièrement son bras sous celui du ma?tre de la maison et l'entra?na à l'écart.
Profitons du moment où il pose à son insu pour croquer en deux coups de plume le portrait de l'officier.
Par certaines femmes, James Evil pouvait être considéré comme un bel homme. Il était grand et bien fait. Mais ses cheveux étaient roux et rouge son teint, tandis que les chairs flasques de ses joues commen?aient à tomber un peu sur le menton où elles s'étageaient sur les plis bouffis de la gorge. Sa main était blanche et potelée, mais molle; et son pourpoint militaire de drap écarlate ne pouvait, malgré tous les efforts d'un ceinture cachée, parvenir à dissimuler un embonpoint précoce. Sa physionomie, qui ne déplaisait pas à première vue, révélait cependant à l'oeil de l'observateur un fond de duplicité sous le masque placide de sa figure. Ainsi, à de certains moments, les coins de sa bouche avaient de ces plissements, d'où sortent les menaces du coeur, et ses yeux d'un gris pale brillaient quelquefois d'un éclair sinistre, reflet involontaire d'un feu, qui couvait à l'intérieur.
Le capitaine Evil, assez flegmatique à l'ordinaire, paraissait si animé en parlant à M. Cognard, qu'il ne manqua pas d'attirer l'attention de quelques-uns des invités, entre autres de Marc Evrard qui, dans un autre coin de la chambre, continuait de causer, mais d'un air distrait, avec Alice. En jetant un coup d'oeil à la dérobée sur Evil, Marc présentait au regard un admirable profil. Son front haut et large s'harmonisait parfaitement avec les lignes, sévères du nez et nobles de la bouche. Son oeil, grand et d'un bleu profond, rayonnait d'un feu calme sous l'arcade sourcilière. Enfin, servant de cadre antithétique à sa figure dont le teint était d'un blanc mat, ses cheveux noirs qu'il ne poudrait point, à dessein, se relevaient finement sur les tempes, et après avoir flotté quelque peu sur la nuque, s'y tordaient dans la bourse de soie noire alors en usage.
A certain regard, jeté de son c?té par Evil et son interlocuteur, Marc Evrard s'aper?ut qu'il faisait le sujet de leur conversation. Le père Cognard fron?ant le sourcil lui sembla le nuage sombre qui annonce de loin la tempête.
Marc se
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