plier aux caprices d'un officier de l'armée
britannique.
Marc et Alice furent forcés de figurer dans la contredanse que James
Evil dut diriger du commencement à la fin.
Quand la danse fut terminée, Marc dit à Alice qu'il ramenait sa place:
--Je crois que vous avez un peu durement reçu ce pauvre capitaine.
Marc, en parlant ainsi, n'était point sincère; au contraire il était
enchanté, d'avoir vu humilier devant lui cet arrogant officier.
--Vous pensez, dit Alice en glissant un malin regard entre ses longs cils.
Bah! tant pis pour lui! S'il vous avait salué encore, je ne dis pas. Pour
lui prouver que j'aime autant danser avec vous que je le déteste
lui-même, et pour faire pièce, à sa vilaine danse anglaise, venez
exécuter un pas de gavotte avec moi.
En passant devant les deux joueurs de violon, Alice leur demanda l'air
qu'elle désirait.
Les violons attaquèrent aussitôt une gavotte. C'était un air lent à deux
temps, se coupant en deux reprises dont chacune commençait avec le
second temps et finissait sur le premier. Les phrases et le repos en
étaient marqués de deux mesures. C'était une danse toute française que
la gavotte. Vers le temps qui nous occupe, la reine Marie-Antoinette la
dansait à Paris avec toute la perfection désirable. La gavotte disparut en
France après la Révolution et n'y fut jamais bien populaire.
Comme elle ne s'exécutait qu'à deux personnes et concentrait sur elle
l'attention de toute la salle, malheur à celles que leurs vilains pieds ou
leur tournure commune n'auraient pas tout d'abord empêchées d'y
figurer. Il fallait déployer dans la gavotte une telle souplesse, une si
grande aisance et tant de grâce dans les mouvements, que la tâche était
difficile pour toutes autres que de très-élégantes personnes.
Alice, la mignonne jeune fille, n'avait pas à redouter cette épreuve. Et
peut-être aussi, par une coquetterie bien innocente, la recherchait-elle à
dessein pour mieux faire valoir son élégance et ses grâces
incontestables. Ses petits pieds de fée trottaient si gentiment au bas de
sa polonaise de soie rose; les hauts talons rouges de ses bottines de
maroquin battaient si bien la mesure et d'un air si mutin; sa taille souple
et fine se pliait si gracieusement sur les larges paniers qui gonflaient la
jupe de sa robe dans ses tournoiements de sylphide.
Et certes son partenaire lui faisait honneur. En ces temps où la danse ne
consistait pas encore dans un marcher absurde, Marc Evrard passait
pour un beau danseur d'assez petite taille, il y avait dans toute sa
personae une harmonie parfaite. Son bas de soie bien serré au-dessus
du genou et ses souliers talons hauts dessinaient avec avantage le relief
d'un mollet des mieux tournés, ainsi qu'un pied tout aussi bien cambré
que celui, d'aucun homme de race; et puis il tendait si galamment sa
main nerveuse et fine à la petite main de sa danseuse, que les plus jolies
femmes se seraient senties ravies de danser avec lui.
La gavotte finie, et comme deux autres personnes commençaient un
menuet, vieille danse française à peu près semblable à la gavotte, M.
Cognard entra dans la salle.
Dès qu'il aperçut le capitaine Evil, il courut plutôt qu'il ne marcha à sa
rencontre et lui serra avec effusion la main dans les deux siennes.
Le capitaine qui, depuis quelques instants, regardait fréquemment du
côté de la porte et semblait attendre quelqu'un avec impatience, parut
enfin satisfait. Il passa familièrement son bras sous celui du maître de
la maison et l'entraîna à l'écart.
Profitons du moment où il pose à son insu pour croquer en deux coups
de plume le portrait de l'officier.
Par certaines femmes, James Evil pouvait être considéré comme un bel
homme. Il était grand et bien fait. Mais ses cheveux étaient roux et
rouge son teint, tandis que les chairs flasques de ses joues
commençaient à tomber un peu sur le menton où elles s'étageaient sur
les plis bouffis de la gorge. Sa main était blanche et potelée, mais molle;
et son pourpoint militaire de drap écarlate ne pouvait, malgré tous les
efforts d'un ceinture cachée, parvenir à dissimuler un embonpoint
précoce. Sa physionomie, qui ne déplaisait pas à première vue, révélait
cependant à l'oeil de l'observateur un fond de duplicité sous le masque
placide de sa figure. Ainsi, à de certains moments, les coins de sa
bouche avaient de ces plissements, d'où sortent les menaces du coeur,
et ses yeux d'un gris pâle brillaient quelquefois d'un éclair sinistre,
reflet involontaire d'un feu, qui couvait à l'intérieur.
Le capitaine Evil, assez flegmatique à l'ordinaire, paraissait si animé en
parlant à M. Cognard, qu'il ne manqua pas d'attirer l'attention de
quelques-uns des invités, entre autres de Marc Evrard qui, dans un autre
coin de la chambre, continuait de causer, mais d'un air distrait, avec
Alice. En jetant
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