"Saisissez l'occasion que la Providence elle-même vous présente; si
vous agissez de façon à conserver votre liberté, vous serez
effectivement libres. Nous connaissons trop les sentiments généreux
qui distinguent votre nation pour croire que la difference de religion
puisse préjudicier à votre amitié pour nous. Vous n'ignorez pas qu'il est
de la nature de la liberté d'élever au-dessus de cette faiblesse ceux que
son amour unit pour la même cause. Les cantons suisses fournissent
une preuve mémorable de cette vérité: ils sont composés de catholiques
et de protestants, et cependant, ils jouissent d'une paix parfaite, et par
cette Concorde qui constitue et maintient leur liberté, ils sont en état de
défier et même de détruire tout tyran qui voudrait la leur ravir."
Pendant que l'orateur reprenait haleine, le jeune homme pâle, qui se,
tenait toujours près de la porte, s'écria:
--Comment alliez-vous ces belles paroles avec certaine autre adresse du
Congrès protestant contre la loi de Québec qui reconnaît chez nous la
religion catholique? Williams ne s'attendait guère à cette objection! et
resta bouche béante.
La majorité de l'assemblée, qui était évidemment peu sympathique au
Congrès, se mit à rire.
Et puis, dominant toutes les autres, la grosse voix du colosse qui
accompagnait le jeune homme, cria à Williams.
--Hein! ma vieille, ça te rive ton clou.
Pendant l'immense et long éclat de rire qui courut au-dessus de la foule
et tandis que les rares partisans de Williams s'efforçaient de réprimer
cette hilarité dangereuse pour le succès de la cause du Congrès,
l'orateur se mit à crier et à gesticuler du haut de la chaire.
Ce qu'il disait, lui-même ne le savait guère, mais il parlait quand même.
Et veuillez bien croire qu'il n'avait pas tort.
Ne sachant trop que répondre à la sérieuse objection du jeune homme,
le rusé marchand avait pensé qu'il fallait profiter du tumulte pour
paraître répliquer et s'indigner en jetant de grands éclats de voix; quitte
à ne pas dire un seul mot raisonnable. Ce qui importe peu par un tel
brouhaha.
Dans les assemblées tumultueuses, lorsque l'orateur paraît affronter
l'orage et du geste et de la voix, presque toujours il finit par obtenir le
silence. Williams éprouva bientôt la vérité de ce fait que l'expérience a
depuis longtemps démontré. Mais pour ne se point compromettre il eut
soin de calmer son indignation et de baisser la voix à mesure que
l'ordre se rétablissait. De sorte que lorsqu'on le put entendre, il lisait
d'une voix calme cette lettre que Washington adressa "aux peuples du
Canada" à la fin de l'année 1775, et dont voici la dernière partie:
"Le grand Congrès américain a fait entrer dans votre province un corps
de troupes sous les ordres du général Schuyler, non pour piller, mais
pour protéger, pour animer et mettre en action les sentiments généreux
que vous avez souvent fait voir et que les agents du despotisme
s'efforcent d'éteindre par tout le monde."
L'orateur, après avoir souligné ces derniers mots, fit une pose et arrêta
ses yeux sur le jeune homme qui l'avait interrompu, en se disant:
--Voici, sur mon âme! une petite phrase qui vient parfaitement à mon
aide.
Il roula de gros yeux indignés, toussa comme un homme qui ne craint
pas d'être contredit et, encouragé par le succès tacite qu'il obtenait,
continua sa lecture d'une voix emphatique.
"Pour aider à ce dessein et pour renverser le projet horrible,
d'ensanglanter nos frontières par le carnage de femmes et d'enfants, j'ai
fait marcher le sieur Arnold, colonel, avec un corps de l'armée sous mes
ordres pour le Canada. Il lui est enjoint, et je suis certain qu'il se
conformera à ses instructions, de se considérer et d'agir en tout comme
dans le pays de ses patrons et meilleurs amis; les choses nécessaires et
munitions de tout espèce que vous lui fournirez, il les recevra avec
reconnaissance et en payera la pleine valeur; je vous supplie donc,
comme amis et frères, de pourvoir à tous ses besoins, et je vous
garantis ma foi et mon honneur pour une ample récompense, aussi bien
que pour votre sûreté et repos. Que personne n'abandonne sa maison à
son approche, que personne ne s'enfuye, la cause de l'Amérique et de la
liberté est la cause de tout vertueux citoyen américain, quelle que soit
sa religion, quel que soit le sang dont il tire son origine. Les
Colonies-Unies ignorent ce que c'est que la distinction, hors celle-là
que la corruption et l'esclavage peuvent produire. Allons donc, chers et
généreux citoyens" (--ici le geste et la voix de l'orateur s'efforcèrent de
devenir pathétiques, mais en vain, hélas! entravés qu'ils étaient par
l'accent comique du marchand anglais--) "rangez-vous sous l'étendard
de la liberté générale, que toute la force de l'artifice de la tyrannie ne
sera jamais capable d'ébranler."
Il souligna ces derniers mots d'un geste de sabreur
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