La fiancée du rebelle | Page 3

Joseph Marmette
détails de la
manière la plus intéressante qu'il nous sera possible.

CHAPITRE PREMIER.
UN DISCOURS QUI NE CONVAINC PERSONNE.
Le soir du dix-neuvième jour de novembre, dix-sept-soixante-et-quinze,
la Ville de Québec, d'ordinaire paisible à cette heure, présentait une
animation inaccoutumée.
Dans les rues tortueuses, sombres et rendues humides par une froide
bruine qui enveloppait la capitale, se glissaient nombre de gens
soigneusement fourrés dans leur manteau. A la faveur de quelques

pâles rayons de lumière qui, de ci et de là, jaillissaient d'un volet mal
clos, vous auriez, pu voir les passants surgir un instant du brouillard et
y rentrer aussitôt pour disparaître dans l'ombre brumeuse.
Ils venaient de tous les côtés: des faubourgs, de la haute de la basse
Ville, et convergeaient sur un même point, la chapelle de l'évêché.
Le palais épiscopal, qui s'élevait alors sur l'emplacement actuel de
l'Hôtel du Parlement provincial, était encore habité par l'évêque, qui
n'en devait être dépossédé, par le gouvernement anglais, que trois ans
plus tard, moyennant la rémunération dérisoire de £150 par an.
Ce soir-là, sur les huit heures, comme le gros intendant de Monseigneur
Briant allait fermer la porte de la chapelle, un bruit de pas qui se
rapprochaient lui fit sortir un instant la tête au-dehors. Quatre hommes
arrivaient, dont l'un cria avec, l'accent anglais le plus prononcé:
--Holà garçon!
Comme l'intendant se rejetait en arrière et allait obéir à cette injonction,
plus que suspecte à pareille heure, en faisant décrire un prudent double
tour à la clef de la serrure, l'un des arrivants le prévint, bondit et ouvrit
violemment la porte en repoussant à l'intérieur le gardien surpris.
Celui-ci, s'attendant à quelque traître coup, lâcha un cri d'effroi qui se
répéta dans les sonores profondeurs de la chapelle.
--Va dire à ta maître, Monsieur l'évêque, que nous vouloir tenir
assemblée publique, ici, cette soir.
--Mais...
--Allons marche... cria l'autre en allongeant un grand coup de pied au
gardien.
Celui-ci se tenait déjà à une trop respectueuse distance pour ne pas
éviter le coup. Il s'élançait même pour se sauver au plus vite, lorsqu'un
commandement, encore plus impératif que le premier, le cloua sur
place.

--By God! arrêtez-vos!
Ce juron et la grosse voix qui le prononçait, firent frissonner les
moelles dans les os du gardien.
--Pas voir clair ici. Nos avoir besoin de loumière.
Le pauvre homme se résigna. Il alla chercher des cierges dans un coin
de la chapelle, et, pour les allumer, se mit à battre le briquet. Mais ses
mains étaient tellement agitées par la peur, qu'il frappait plus souvent
ses doigts que le silex.
Les autres, vinrent à son aide, et allumèrent une vingtaine de cierges
dont la faible lueur éclairait tant bien que mal l'intérieur de la chapelle.
Le gardien jeta; alors un regard d'interrogation et d'anxiété sur ceux
auxquels il était forcé d'obéir. On lui fit signe qu'il pouvait s'en aller. Il
tourna sur ses talons et disparut aussitôt dans l'enfoncement obscur de
la chapelle, d'où l'on entendit le bruit d'une porte qui se refermait à
triple tour.
Celui qui avait commandé cette équipée éclata de rire et dit aux autres,
en anglais:
--Merci à Dieu! si tous les français de la ville ont le courage de celui-ci,
Québec ne se défendra pas longtemps contre les troupes de Schuyler et
d'Arnold!
C'était, un marchand anglais nomme Williams qui agissait ainsi à
l'évêché comme en pays conquis. Il était accompagné de son
compatriote Adam Lymburner et de deux de leurs connaissances, tous
partisans du congrès et amis déclarés des Bostonnais. L'histoire nous
prouvé qu'une bonne partie de la population anglaise du Canada
penchait du côté des Américains insurgés. Outre ceux de Williams et de
Lymburner, riches négociants de Québec, elle nous a conservé les noms
de James Price et de son associé Maywood, ainsi que celui de Thomas
Walker, qui, tous trois, étaient à la tête du mouvement insurrectionnel à
Montréal. Cependant la chapelle se remplit peu à peu de nouveaux

arrivants. Quand les derniers furent entrés,--un jeune homme, pâle, à
l'air distingué, et un homme du peuple d'une stature colossale.--
Williams monta dans la chaire [1] et s'adressant à la foule, composée en
très-grande partie de Canadiens-Français:
[Note 1: Historique.]
--Gentlemen, dit-il, I feel most happy in seeing such a numerous
assembly.
--Parlez français, cria le jeune homme qui se tenait près de la porte.
--En français! hurla le colosse, son compagnon, d'une voix de tonnerre.
--En français! en français répéta la foule.
Williams dut se résigner et baragouina une espèce d'exorde, dans lequel,
avec l'exagération commune à tous les discours de ce genre, il
remerciait les citoyens de Québec de s'être portés en masse une
assemblée convoquée par lui dans les intérêts de l'indépendance de
toutes les colonies américaines. Puis il se mit à commenter l'adresse du
Congrès aux Canadiens, laquelle terminait ainsi:
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