son ami et son professeur à bord.
Geneviève Drouet était une petite ouvrière bien modeste, bien sage, qui avait été élevée par sa tante, la soeur de feu le lieutenant Drouet, le vieil ami de Pierre.
Pierre épousa la jeune fille et garda chez lui la vieille femme; elle mourut l'année même qui suivit le mariage de sa nièce.
Davenne, après un an de ménage, se déclarait le plus heureux des hommes: il vivait avec sa femme et son enfant et ne recevait chez lui qu'un de ses anciens compagnons d'armes, démissionnaire comme lui, son seul ami; brave et loyal gar?on ayant son age, qu'il considérait comme son frère, et auquel il avait fourni la commandite de sa maison: il se nommait Fernand Séglin.
Le service de la maison se composait de deux domestiques: Annette, qui servait à la fois de cuisinière et de femme de chambre, et Simon Rivet, l'ancien brosseur de Pierre Davenne, un matelot à tous crins qui était à la fois le domestique et le jardinier. Simon était plus qu'un serviteur; c'était un chien fidèle, un dévoué, qui se serait fait tuer pour son ma?tre. Après son chef, Simon adorait la petite Jeanne; il n'avait pour Mme Davenne qu'une amitié beaucoup plus réservée; il disait qu'elle lui avait ?volé? l'affection de son ma?tre.
Davenne quitta la fenêtre et descendit dans le petit jardin; il se promena, aspirant à pleins poumons l'air tiède, cherchant vainement la fra?cheur sous les feuilles des arbres immobiles que pas un souffle n'agitait. Après avoir été jusqu'au bout du jardin, il revint vers l'entrée du sous-sol, juste au moment où Annette redescendait; il lui demanda:
--Madame va-t-elle mieux? Ne vous a-t-elle rien demandé?
--Non, monsieur, madame est couchée; elle a prié qu'on f?t le moins de bruit possible, qu'elle voulait dormir.
--Vous auriez d? lui faire un peu de tisane.
--Madame a refusé, je lui avais offert. Monsieur n'a pas à s'inquiéter, madame n'est pas malade, elle m'a recommandé de l'éveiller demain de bonne heure.
--Bien! Annette, dites à Simon que je me promène sous les arbres; on doit venir me demander vers dix heures, qu'il me prévienne dès qu'on sera venu.
--Oui, monsieur, je vais le lui dire tout de suite.
Pierre Davenne ralluma son cigare et continua sa nocturne promenade dans l'étroit jardin. Arrivé à l'extrémité, il s'assit devant une petite table de fer. Accoudé, les yeux fixés sur la fenêtre de la chambre--où reposaient ceux qu'il aimait,--éclairée à cette heure par la lueur pale de la veilleuse, il rêvait d'amour et de bonheur, et il remerciait Dieu qui l'avait élevé à ces deux sommets, la fortune et l'amour.
Il rêvait depuis quelques minutes, lorsqu'il lui sembla entendre s'ouvrir et se fermer la porte de la rue. Il vit une ombre se diriger vers lui.
--C'est toi, Simon, demanda-t-il.
--Oui, lieutenant.
--Que veux-tu?
--La dame qui vous a écrit vient d'arriver.
--C'est une dame? fit Pierre intrigué. Tu l'as fait entrer au salon.
--Mon lieutenant, je le lui ai offert, mais elle a refusé, elle ne veut pas entrer dans la maison.
--Est-elle jeune?
--?a, ?a n'est guère facile à voir, elle est encapuchonnée dans un voile noir.
Pierre Davenne se leva et se dirigea aussit?t vers l'entrée, suivi par Simon.
L'inconnue, debout dans l'ombre de la nuit, s'avan?a en les voyant para?tre. Pierre vint vers elle et lui dit:
--C'est vous, madame, qui désirez me parler?
--Oui, monsieur.
En disant ces mots elle fit un signe pour montrer que le domestique qui la regardait les yeux ronds, la bouche béante, était de trop. Sur un mot de son ma?tre, Simon s'éloigna en clignant de l'oeil et en haussant les épaules.
--Madame, dit aussit?t Pierre, je suis à vos ordres, et lui désignant le perron il s'effa?a pour la laisser passer.
--Je désirerais, monsieur, ne pas entrer chez vous.
--Mon Dieu, madame, je ne vois pas alors le moyen d'être assuré du secret que vous m'avez demandé; la bonne ou mon domestique peuvent se trouver dans le jardin sans que nous les voyions. Un de mes voisins peut, comme moi, prendre le frais à cette heure.
--Vous avez raison, monsieur, fit l'inconnue avec un désappointement visible, mais nous serons seuls, et je ne risque point d'être vue?
--Je suis le seul encore debout dans la maison. Permettez-moi de vous diriger.
Tout à fait intrigué, et surtout gêné par les allures singulières de la visiteuse, il monta rapidement le perron, ferma à clef la porte du vestibule qui donnait sur l'escalier de service; puis il ouvrit la porte du salon, et, ayant pris la lampe de la salle à manger pour s'éclairer, il fit entrer la femme voilée.
Dès qu'elle fut dans le salon, Pierre ferma la porte du vestibule, puis poussa le verrou, et ayant approché un siège, il dit:
--Madame, nous sommes absolument seuls, vous pouvez parler.
--La lettre que je vous ai adressée ce matin vous a dit la gravité du motif qui me dirige.
--Madame, j'espère que vous avez exagéré les mots. Vous
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