La faneuse damour | Page 4

Georges Eekhoud
sa batterie sommaire, une table et deux chaises, il leur fallait cuisiner et dormir, repa?tre et s'astiquer. Tous les efforts de Rikka, tendaient �� expulser de leur logis cette odeur d'��chauff��, de graillon, de loques impr��gn��es de sueur, ces miasmes de buanderie, s'impatronisant par le trou de la serrure et les joints de la porte.
Clara se rem��mora toujours ce fumet du pauvre, mais plut?t comme une chose m��lancolique sollicitant la commis��ration. Elle garda pour jamais dans les oreilles, avec plus de complaisance que de rancune, les disputes des voisins de carreau, les d��gringolades au petit jour des chambrelans ensabot��s, dans l'escalier noir, auquel servait de rampe une corde poisseuse comme le ligneul, et surtout les titubements des ivrognes les soirs de la Sainte-Touche et de la Saint-Lundi, ruineuses f��ries; les expectorations de jurons lard��es de gravelures, le fracas des portes, les criailleries des femmes, le fausset des enfants, les carambolages des masses humaines contre les parois et la tr��pidation des planchers.
Le soir, couch��e avant le retour du p��re, ces hourvaris emp��chaient la fillette de s'endormir. Silencieuse elle dissimulait son insomnie, et scrutait sa m��re qui ravaudait devant le pale quinquet ou qui surveillait le miroton de Nikkel. La figure avenante et apais��e de Rikka, la d��cence de sa toilette, la sym��trie du mobilier, au lieu de flatter Clara, l'irritaient presque par leur implacable r��gularit��, leur ��go?ste qui��tude.
Rikka, la folle soubrette, se ressentait aujourd'hui de l'��ducation du couvent. Depuis longtemps elle avait rajust�� son bonnet; sa robe pr��sentait des cassures de soutane et la m��nag��re avait des sourires vagues, en coulisse de fille repentie. Clara suspectait chez sa m��re un d��sint��ressement raisonn�� du prochain, une ��troite conscience de d��vote, des m��pris de bonne m��nag��re pour les irr��guliers; et Clara l'en aimait moins, instinctivement. Un jour que Rikka l'embrassait: "Tu sens trop le savon et pas assez la viande!" faisait la petite en se d��gageant. Ces soirs-l��, que le pas de Nikkel r��sonnat sur le palier, vite la matine de simuler le sommeil et de fermer les yeux. Et ce petit corps potel�� frissonnait d'aise lorsque le platrier, humide et poudreux, oint de glaise ou tavel�� de gravats, la d��nichait un moment, la palpait de ses mains calleuses, appliquait son visage rapeux �� ces joues en fleur et l'��gratignait pour la caresser.

V
Clara avait pris tout particuli��rement en sympathie un manoeuvre arrivant chaque jour du village de Duffel par ces matineux trains de banlieue qui drainent la main-d'oeuvre rurale.
Il avait quatorze ans, soit cinq ans de plus que la petite Mortsel, un teint ros�� de contadin, l��g��rement briquet�� par places, des cheveux de filasse, de bonnes joues pleines, de grosses l��vres, de grands yeux bleuatres, humides, ahuris et comme douillets, la physionomie d��bonnaire, des membres potel��s, une carre robuste, l'encolure et les reins d'un goussaut, la d��marche passive d'un athl��te embarrass�� de sa force.
C'��tait l'a?n�� de petits cultivateurs, mieux partag��s sous le rapport de la prog��niture que sous celui des ��cus. Ses parents le tenaient pour ?innocent? ou ?faible d'esprit? mais comme il ��tait le plus grand, en attendant la croissance de ses fr��res ils l'envoyaient �� la ville, malgr�� sa f��lure, gagner quelques centimes par jour.
Si la cervelle lui manquait pour devenir jamais un ouvrier passable, du moins serait-il apte au charriage des mat��riaux et rendrait-il les services m��caniques d'une ch��vre et d'un ascenseur.
Ma?tres et compagnons l'eurent bient?t jaug�� et se mirent �� exploiter �� outrance cette force brute et candide incapable de rancune, de col��re ou m��me de volont��.
Flup Barend, Flupi comme ils l'appelaient, servit de bardot non seulement aux ouvriers, mais encore aux apprentis de son age. Taill�� en lutteur, il se laissait berner comme le plus malingre des enfants de peine.
A six heures du matin, ��t�� comme hiver, par le froid, la pluie et les t��n��bres, les tap��es de travailleurs ruraux guettent le passage du train en battant de leurs sabots les dalles du quai. Un coup de sifflet prolong�� annonce le convoi. Le fanal blanc, au ventre de la locomotive, grandit, s'��carquill�� comme une prunelle de cyclope. Le frein grince; las de se morfondre, le contingent de Duffel saute sur le marchepied avant que le train n'ait stopp��; s'accroche par grappes aux porti��res et, les uns poussant les autres, s'enfourne dans les wagons de troisi��me classe d��j�� occup��s par des cohortes plus lointaines.
Flup Barend a toujours peine �� se caser. Ses compagnons, apr��s l'avoir appel�� dans leur caisse se serrent de mauvaise grace, souvent les rudes espi��gles le contraignent �� rester debout et le repoussent �� tour de r?le. Les plus avis��s des gars, d��sireux de prolonger jusqu'�� la ville leur somme interrompu, se sont empar��s des bons coins, et s'allongent genou �� genou. Les turlupins envoient malicieusement Flup Barend s'emp��trer dans les jambes des dormeurs. Alors emp��ch��s de fermer l'oeil, ceux-ci sortent de leur torpeur pour dauber
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