La fabrique de crimes | Page 2

Paul H. C. Féval

fraudes, escroqueries, captations, vente à faux poids, ni même les
ATTENTATS À LA PUDEUR,
ces différents crimes et délits se trouvant semés à pleines mains dans
cette oeuvre sans précédent, saisissante, repoussante, renversante,
étourdissante, incisive, convulsive, véritable, incroyable, effroyable,
monumentale, sépulcrale, audacieuse, furieuse et monstrueuse, en un
mot, CONTRE NATURE,
après laquelle, rien n'étant plus possible, pas même la
Putréfaction avancée, il faudra Tirer l'échelle!!!

CHAPITRE PREMIER MESSA -- SALI -- LINA
Il était dix heures du soir...
Peut-être dix heures un quart, mais pas plus.
Du côté droit, le ciel était sombre; du côté gauche, on voyait à l'horizon
une lueur dont l'origine est un mystère.
Ce n'était pas la lune, la lune est bien connue. Les aurores boréales sont
rares dans nos climats, et le Vésuve est situé en d'autres contrées.
Qu'était-ce?...
Trois hommes suivaient en silence le trottoir de la rue de Sévigné et
marchaient un à un. C'était des inconnus!
On le voyait à leurs chaussons de lisière et aussi à la précaution qu'ils
prenaient d'éviter les sergents de ville.
La rue de Sévigné, centre d'un quartier populeux, ne présentait pas
alors, le caractère de propreté qu'elle affecte aujourd'hui; les trottoirs
étaient étroits, le pavé inégal; on lui reprochait aussi d'être mal éclairée,
et son ruisseau répandait des odeurs particulières, où l'on démêlait
aisément le sang et les larmes...
Un fiacre passa. Le Rémouleur imita le sifflement des merles; le Joueur
d'orgue et le Cocher échangèrent un signe rapide. C'était Mustapha.
Il prononça quatre mots seulement:
-- Ce soir! Silvio Pellico!
Au moment même où la onzième heure sonnait à l'horloge Carnavalet,
une femme jeune encore, à la physionomie ravagée, mais pleine de
fraîcheur, entr'ouvrit sans bruit sa fenêtre, située au troisième étage de
la Maison du Repris de justice. Une méditation austère était répandue
sur ses traits, pâlis par la souffrance.

Elle darda un long regard à la partie du ciel, éclairée par une lueur
sinistre et dit en soupirant:
-- L'occident est en feu. Le Fils de la Condamnée aurait-il porté
l'incendie au sein du château de Mauruse!
Un cri de chouette se fit entendre presqu'aussitôt sur le toit voisin et les
trois inconnus du trottoir s'arrêtèrent court.
Ils levèrent simultanément la tête, -- en tressaillant!
Le premier était bel homme en dépit d'un emplâtre de poix de
Bourgogne qui lui couvrait l'oeil droit, la joue, la moitié du nez, les
trois quarts de la bouche et tout le menton. Â la vue de cet emplâtre
d'une dimension inusitée, un observateur aurait conçu des doutes sur
son identité. Rien, du reste, en lui, ne semblait extraordinaire. Il
marchait en sautant, comme les oiseaux. Son vêtement consistait en une
casquette moldave et une blouse, taillée à la mode garibaldienne. La
forme de son pantalon disait assez qu'on l'avait coupé dans les défilés
du Caucase. Il n'avait point de bas, ni de décorations étrangères.
Sous sa blouse, il portait un cercueil d'enfant.
Le second, plus jeune et vêtu comme les marchands de contremarques,
avait en outre des lunettes en similor, pour dissimuler une loupe
considérable qui déparait un peu la régularité de ses traits.
Le troisième et dernier, doué d'une physionomie insignifiante en
apparence, mais féroce en réalité, portait la livrée des travailleurs de la
mer, sauf l'habit noir et la cravate blanche. Le reste de son costume
consistait en un gilet de satin lilas et un pantalon écossais.
Évidemment, ils avaient adopté tous les trois ces divers
travestissements pour passer inaperçus dans la rue de Sévigné.
Quels étaient leurs desseins?
Il était facile de reconnaître à première vue, malgré le masque de

tranquille indifférence attaché sur leur visage que c'était trois
malfaiteurs intelligents et endurcis.
À l'instant où ils levaient les yeux vers le toit d'où le cri de chouette
venait de ***ber[1], une fusée volante s'alluma et décrivit dans les airs
une courbe arrondie.
-- C'est le signal! dit le premier inconnu.
-- La route est libre, ajouta le second, rien n'arrêtera nos pas.
Le troisième conclut:
-- Mort aux malades du docteur Fandango!
La fenêtre du troisième étage se referma avec précaution et Mandina de
Hachecor, l'amante du gendarme (car c'était elle), pensa tout haut:
-- Mustapha tarde bien! si le Fils de la Condamnée a réussi, tout n'est
pas encore perdu!
Elle disparut après avoir jeté un dernier regard à la lueur lointaine qui
rougissait la portion occidentale du ciel.
Les trois inconnus, cependant, s'étaient retournés au son de leurs
propres voix et groupés en rond d'un air impassible.
L'école du danger leur avait appris à contenir l'expression de leurs
craintes et de leurs espérances.
Tout le monde dans Paris, sait quelle est la grandeur des véhicules de
l'ancienne Compagnie Richer, appartenant aujourd'hui à MM. Lesage et
Cie, industriels de la Villette. Une de ces voitures, si propres par leur
taille, à cacher des armes
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