La fabrique de crimes | Page 6

Paul H. C. Féval
naturel. Il approcha la préparation chimique du robinet en murmurant:
-- ? ma mère!...
L'effet se fit un peu attendre; mais pour n'être pas instantané, il n'en fut pas moins remarquable. Une explosion majestueuse et pareille à plusieurs coups de tonnerre, fit trembler le sol, jusqu'à la rue Saint-Antoine, située non loin de là. Toutes les vitres de la rue de Sévigné, sans en excepter une seule, furent mises en pièces. Quelques pavés même, furent déchaussés comme des dents malades.
Une odeur nauséabonde et infectante se répandit dans l'air. Les maisons de la rue du sinistre furent maculées du sol au fa?te et les ruisseaux roulèrent des flots de déjections putrides et asphyxiantes.
Mais là, ne se bornèrent pas les dégats.
Soixante-treize personnes des deux sexes et de tout age, trouvèrent la mort dans cette combinaison qui leur était absolument étrangère. Outre la corruption fétide, le ruisseau déversa dans l'égout des flots de sang, tandis que la chaussée était jonchée de lambeaux humains en différents endroits. Les amis, les parents, les domestiques vinrent pendant toute la journée du lendemain reconna?tre dans ce rouge fouillis, les morceaux de ceux qui leur étaient chers. C'était horrible, mais intéressant. Paris tout entier, voulut voir cela, et il vint des gens de province en quantité. Les différentes administrations de chemins de fer avaient eu l'excellente idée d'improviser des trains de plaisir.
Anticipant sur les événements, nous dirons ici que par les soins de l'autorité, ce hachis humain, ces rillettes de cadavres mélangés à la vidange, ne tardèrent pas à mettre la peste noire dans le quartier. Le nombre des victimes de cette cruelle maladie n'est pas venu à notre connaissance, la préfecture de police en garda le secret avec un soin jaloux; mais il fut tellement considérable que 232 familles aisées émigrèrent à Versailles, ville autrefois royale, qui gagne maintenant son pain à faire croire qu'elle a passé un traité avec les épidémies.
Telles peuvent être les suites des briquets à l'usage des fumeurs. Et chaque fois que vous détournez une institution de son but, vous pouvez vous attendre à des désastres semblables.
Revenons sur nos pas: quelques détails de la catastrophe pourront réjouir les dames.
Il ne restait plus vestige de la voiture de vidange. Le conducteur, les employés avaient été réduits en poussière impalpable ainsi que les trois chevaux percherons.
C'est ici le lieu de répondre à une lettre anonyme, fruit de la malveillance, qui nous demande comment le malheureux produit de l'incontinence d'un huissier, Gringalet, avait pu trouver un abri commode entre la croupe et la queue d'un cheval.
à quoi servent ces plates objections? Qu'opposer à un fait? Nous méprisons les lettres anonymes. Tel est notre réponse.
D'ailleurs, Gringalet était de petite nature. Il avait eu occasion de rendre un service futile au percheron... Bref, le percheron s'était prêté à la chose.
De ce cheval percheron, en particulier, il ne resta qu'une dent de la machoire inférieure. Gringalet, parvenu plus tard aux honneurs, la fit monter en épingle pour témoigner du miracle qui préserva ses jours. Sa dame la porte.
Deux brevetés, le marchand de cirage et le commer?ant en colle furent foudroyés sur la porte de leur maison. Ils étaient ennemis, en qualité de voisins: le trépas les réunit. Seize jeunes enfants revenant de l'école à cette heure avancée, par suite d'un gala qui avait célébré le jour de naissance de la pension Tr?cot, furent massacrés péniblement. Deux amoureux qui causaient, le mari qui les guettait, et la fille de la maison qui profitait de la circonstance pour risquer sa première équipée, re?urent la mort également.
Enfin, ils étaient soixante-treize, pas un centimètre humain de moins.
Un fait curieux et qui rappelle l'aventure historique du fameux docteur Guillotin, tué par sa propre découverte, c'est que M. et madame Fabrice, brevetés, inventeurs du briquet, furent trouvés au nombre des victimes. Ils étaient dans la force de l'age, et ils s'aimaient.
Bien entendu, nous ne faisons entrer dans ce fatal chiffre de 73, ni les chiens, ni les chats, ni les animaux secondaires.
Quant aux personnages de notre histoire, un instant avant l'explosion, Gringalet avait quitté son poste d'observation. Pourquoi? Parce que Messa, Sali et Lina avaient cessé leur conférence pour chanter. Gringalet n'aimait pas la musique.
Ne l'en blamez pas, ce fut son salut. Au moment même de l'explosion, on avait pu voir mademoiselle de Hachecor, le Rémouleur et le Joueur d'orgues se plonger dans une allée sombre qui faisait face à la Maison du Repris de justice, tandis que Mustapha, plus rapproché de la machine infernale, disparaissait dans un tourbillon de flamme et de fumée. Mustapha fut projeté avec une violence excessive jusqu'à la rue du Parc Royal où se termine la rue de Sévigné. Arrivé là, il eut la présence d'esprit de se tater, car il croyait être mort. Rien ne lui manquait, sinon une oreille emportée par la roue de la voiture à vidange. Il revint
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