point de la digue et le Mont.
De ce lieu, qui s'élève à peine de quelques mètres au-dessus du niveau
de la mer, l'horizon est large comme au faîte des plus hautes montagnes.
Au nord, c'est Cancale avec ses pêcheries qui courent en zig-zag dans
les lagunes; à l'est, la chaîne des collines allant de Châteauneuf au bout
du promontoire breton; au sud-est, le magnifique château de Bonnaban,
bâti avec l'or des flottes malouines et tombé depuis en de nobles mains;
au sud, le Marais, Dol, la ville druidique, le mont Dol; à l'ouest, les
côtes normandes, par delà Cherrueix, si connu des habitués de Chevet,
et Pontorson le vieux fief de Bertrand Du Guesclin.
Oeuvre des siècles intermédiaires, la digue semble placée là
symboliquement, entre le château moderne et la forteresse antique. Au
Mont-Saint-Michel, vieux suzerain des grèves, la gloire du passé; au
brillant manoir qui n'a point d'archives, le bien-être de la civilisation
présente. Au milieu de ses riches futaies le roi des guérets regarde le roi
tout nu des sables. Tous deux ont la mer à leurs pieds.
Mais le château moderne, prudent comme notre âge, s'est mis du bon
côté de la digue.
Personne n'ignore que les abords du Mont-Saint-Michel ont été, de tout
temps, fertiles en tragiques aventures.
Son nom lui-même _(le Mont-Saint-Michel au péril de la mer)_ en dit
plus qu'une longue dissertation.
Les gens du pays portent, de nos jours, à trente ou quarante le nombre
des victimes ensevelies annuellement sous les sables.
Peut-être y a-t-il exagération. Jadis la croyance commune triplait ce
chiffre.
La chose certaine, c'est que les routes qui rayonnent autour du Mont,
variant d'une marée à l'autre et ne gardant pas plus la trace des pas que
l'Océan ne conserve sur sa surface mobile la marque du sillage d'un
navire, il faut toujours se fier à la douteuse intelligence d'un guide, et
mettre son âme aux mains de Dieu.
On va de Cherrueix au Mont-Saint-Michel à travers les _tangues,_ les
lises et les _paumelles_[1], coupées d'innombrables cours d'eau qui
rayent l'étendue des grèves; on y va des Quatre-Salines et de Pontorson:
ceci pour la Bretagne.
[Note 1: Les tangues sont généralement le sol de la grève, les lises sont
des sables délayés par l'eau des rivières ou des courants souterrains, les
paumelles, au contraire, sont des portions de grèves solides où le reflux
imprime des rides régulières.]
Les routes principales de Normandie sont celles des Pontaubault,
d'Avranches et de Genêt.
Suivant les coquetiers et les pêcheurs, la route de Pontorson est seule
sans danger.
Encore y a-t-il plus d'une triste histoire qui prouve que cette route-là
même, en temps de marée, ne rend pas tous les voyageurs que sa
renommée de sécurité lui donne.
Le 8 juin 1450, toutes les cloches de la ville d'Avranches sonnèrent à
grande volée, pendant que les portes du château s'ouvraient pour
donner issue à une nombreuse et noble cavalcade.
Il était onze heures du matin.
Tout ce qu'Avranches avait de dames et de bourgeoises se penchait aux
fenêtres pour voir passer le duc François de Bretagne, se rendant au
pèlerinage du Mont-Saint-Michel.
Un coup de canon, tiré du Mont, à l'aide d'une de ces pièces énormes en
fer soudé et cerclé, qui lançaient des boulets de granit, avait annoncé le
bas de l'eau, tout exprès pour monseigneur le duc et sa suite.
Et ce n'était pas trop faire, que de mettre ces canons au service du riche
duc, car ceux qui les avaient pris aux Anglais étaient des gens de
Bretagne.
Bien peu de temps auparavant, le duc François avait envoyé les sieurs
de Montauban et de Chateaubriand, avec René de Coëtquen, sire de
Combourg, au secours du Mont-Saint-Michel, assiégé par les Anglais.
À cette époque, le roi Charles VII, de France, avait déjà regagné une
bonne part de son royaume, et rejeté Henri d'Angleterre loin du centre.
Mais les côtes de la Manche restaient au pouvoir des hommes
d'outre-mer, et le Mont-Saint-Michel était, depuis Granville jusqu'à
Pontorson, le seul point où flottât encore la bannière des fleurs de lis.
Montauban, Chateaubriand, Combourg et bien d'autres Bretons
passèrent le Couesnon, pendant que cinq navires malouins, commandés
par Hue de Maurever, doublaient la pointe de Cancale et entraient dans
la baie. Il resta deux mille Anglais morts sur les tangues, entre le Mont
et Tombelène.
À l'heure où le duc François sortait du château d'Avranches, les Anglais
ne gardaient plus en France que Calais, le comté de Guines et le petit
rocher de Tombelène où ils avaient bâti une forteresse imprenable.
Mais ce n'était point pour célébrer une victoire déjà ancienne que le duc
de Bretagne se rendait au monastère du Mont-Saint-Michel, comblé de
ses bienfaits. François faisait le pèlerinage pour obtenir du ciel le repos
et le salut de l'âme de monsieur Gilles, son frère,
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