La deux fois morte | Page 3

Jules Lermina
a pas de bon sens, s'��cria-t-il. Comprenez-vous cette petite qui est souffrante et que nous retenions �� la maison? Elle s'est ��chapp��e de nos mains et s'est ��lanc��e dehors. Oh! nous savions bien que nous la retrouverions ici!

III
Entre ces deux ��tres--la chose ne pouvait ��tre discut��e--existait une attraction int��ressante qui se d��veloppait chaque jour davantage.
L'age vint. Paul avait alors vingt-trois ans, Virginie avait atteint sa dix-huiti��me ann��e. Mon ��l��ve n'avait fait dans les sciences pratiques que des progr��s tr��s relatifs. Tout ce qui ��tait de connaissance courante, quotidienne, lui ��tait plus qu'indiff��rent, et, sans sa prodigieuse m��moire, on aurait pu le taxer d'ignorance sur plus d'un point. Par contre, il poss��dait �� un degr�� ��tonnant les facult��s sp��ciales qui ont fait des Mondeux et des Inaudi de v��ritables prodiges.
La m��moire persistante des formes, de l'expression graphique des choses, s'accroissait: il semblait aspirer les images ext��rieures pour les emporter dans le laboratoire de sa pens��e et les ��tudier �� loisir.
Mais--et ici, je puis �� peine rendre l'id��e qui s'impose �� moi--en cette sympathisation qui unissait les deux jeunes gens, Paul s'emparait de Virginie, il la conqu��rait, se l'appropriait.
J'avais suivi jour par jour, minute par minute, ce sentiment qui ��tait bien l'amour, en sa hantise compl��te et d��licieuse, mais avec un caract��re tout sp��cial. Lui ne vivait que pour elle, mais elle ne vivait que par lui; m��me s'il ��tait absent, elle restait impr��gn��e des effluves dont il l'avait envelopp��e. Elle absente, il la gardait pr��s de lui, et je l'avais bien des fois surpris, lui parlant comme si elle avait ��t�� �� ses c?t��s, et, comme je le raillais de sa m��prise:
--Comment se peut-il, disait-il en pointant son doigt dans le vide, que vous ne la voyiez pas? Elle est l��!
Phrases d'amoureux, c'est possible: mais d��s lors un instinct m'avertissait qu'il y avait l�� autre chose, comme une ��vocation, �� la fois int��rieure et ext��rieure, de l'objet qui remplissait sa pens��e et qui, pour lui seul, se mat��rialisait hors de lui. Je dis--pour lui seul--n'osant pas encore affirmer davantage.
La bonne Mlle de B. avait suivi avec int��r��t les progr��s de cette affection qui pour elle ne pr��sentait aucun caract��re myst��rieux. Paul ��tait riche, ses go?ts et ses aptitudes le destinaient ��videmment �� la vie placide de la campagne. L'oncle de Virginie ��tait mort, sa tante ��tait val��tudinaire. Il parut donc tr��s naturel que Paul manifestat la volont�� d'��pouser son amie, et, toutes convenances de famille et de situation se trouvant r��unies, aucun motif n'existait de contrecarrer ses d��sirs.
Pour moi, cette union ��tait de longue date indiqu��e. J'avais compris que Paul ne serait jamais apte �� prendre un r?le dans la vie active. ��tant r��veur, tout chez lui ��voluait dans le sanctuaire int��rieur. Le dernier des niais, manoeuvre de la civilisation, aurait eu raison de son inexp��rience. Quant �� Virginie, elle ne s'appartenait plus. A mesure que leur intimit�� s'��tait resserr��e, elle s'��tait pour ainsi dire an��antie en lui, d'abord de sa propre volont��, et aussi, surtout peut-��tre, en raison de cette main mise qu'il exer?ait sur son ��tre moral et qui ��tait une possession anticip��e, plus absolue que celle du mariage. De lui �� elle, il y avait ��change, flux et reflux de vitalit��. Ils faisaient plus que de s'appartenir, ils s'absorbaient l'un en l'autre.
Ce mariage, v��ritable cons��cration, dans le sens pur et ��lev�� du mot, eut lieu.
De ma vie je n'oublierai la c��r��monie nuptiale, lumineuse et rayonnante, qui les fit pour jamais--je le croyais alors--compagnons de joies et de peines, unis pour le bonheur comme pour le malheur, ainsi que dit la liturgie calviniste.
Sous le faisceau de rais tombant des vitraux, j'eus un instant cette illusion que ces deux ��tres--par un effet de synchromatisme,--se fondaient en un seul. Il y avait en ce moment ��quilibre entre ces deux cr��atures qui se donnaient l'une �� l'autre avec une mutuelle abn��gation du Soi.
Au matin m��me de la c��r��monie, j'avais accept�� une mission en Orient, avec obligation de d��part imm��diat. Il me plaisait, ayant ��t�� t��moin de leur bonheur naissant, de n'en point g��ner l'��closion de ma pr��sence.
Au sortir de l'��glise, je fis mes adieux, et, serrant leurs deux mains qui se m��laient dans les miennes, je ne pus discerner quelle ��tait celle de l'un ou de l'autre.
Je leur jetai un dernier signe d'adieu, convaincu d'ailleurs que t?t ou tard la vie pratique s'emparerait de mes deux h��ros de f��erie, qui, rentr��s dans la norme des banalit��s sociales, vieilliraient en bons ��poux prosa?quement assagis.
Une lettre trouv��e �� Hong-Kong ��branla mes esp��rances: ils s'en ��taient all��s se blottir au fond de la Sologne o��, para?t-il, ils vivaient compl��tement seuls, heureux de n'entendre aucun ��cho de la vie vraie. Je r��pondis par des souhaits de bonheur, certes bien sinc��res. Un an apr��s, au pays de Laos, je re?us une lettre de Paul. Elle me frappa
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