résultat. Le battant avait été enlevé. Ceci me contraria, car cette hypothèse se présenta pour la première fois à mon esprit que je me trouverais, la nuit venant, stupidement arrêté à cette porte, ayant manqué le but de mon voyage et presque perdu dans un pays que je ne connaissais pas.
Cependant je ne me tins pas pour battu. Je m'éloignai un peu, m'effor?ant de voir quelque chose dans le chateau ou dans le petit parc. Il n'y avait pas apparence de vie ni de mouvement. Je suivis l'étang, pensant à le tourner et à atteindre Pierre-Sèche par quelque autre point, mais je m'aper?us bient?t qu'il enveloppait la propriété de tous les c?tés.
L'espèce de rocher sur lequel le castel était construit formait une ?le véritable. De plus, le terrain était marécageux à ce point que je risquais à chaque pas de m'enliser dans la vase.
Il faut avouer que ma situation était assez étrange, voire même ridicule.
Je me trouvais en pleine France, à la porte d'un ami, cent fois plus embarrassé que je ne l'aurais été en pays barbare. Le pis, c'est que la tension cérébrale qui m'énervait nuisait à la lucidité de mon esprit et que j'eus grand'peine à trouver un expédient, pourtant d'une imagination bien simple.
La cloche n'avait pas de battant, mais elle existait: de plus elle était fixée au poteau même de la grille, en dedans, il est vrai, mais non hors de portée. Je me hissai aux barreaux d'une main et, de l'autre, brandissant ma canne, j'assénai sur le métal un coup vigoureux. Cette fois, je fus servi à souhait: le son vibra très clair, et le succès couronna mon ingéniosité tardive.
A peine deux minutes s'étaient-elles écoulées que je vis quelqu'un para?tre au bout de l'allée qui descendait du tertre; seulement le personnage, qui sans doute était en défiance, me parut placer ses mains au-dessus de ses yeux pour examiner l'intrus, puis avec de grands gestes très significatifs lui enjoindre de s'éloigner.
Ceci ne faisait pas mon affaire. Je compris que, si l'homme disparaissait, il me serait inutile de le rappeler de nouveau, et, me souvenant que, d'après l'aubergiste, le seul habitant de la maison, avec mon ami, était son vieux serviteur que j'avais fort bien connu naguère, j'appelai de toutes mes forces:--Jean! eh Jean, c'est moi!
Et le ?c'est moi!? n'étant pas suffisamment suggestif, je lan?ai mon nom à pleins poumons.
Victoire! Je ne m'étais pas trompé. L'homme dévala rapidement, atteignit le petit pont, arriva à la grille et me dit:
--Vous! c'est bien vous! Ah! quel hasard! mon Dieu, pourquoi n'êtes-vous pas venu plus t?t?
--T?t ou tard, répliquai-je, me voici. Ouvre cette porte, mon brave, et, si je puis rendre ici quelque service, tu sais que l'on peut compter sur moi.
Jean était un vieillard, presque septuagénaire, maigre et vo?té. De la main, il me fit signe de modérer les éclats de ma voix.
--écoutez, me dit-il, j'ai l'ordre formel, absolu, de ne jamais laisser entrer personne. Mais vous, c'est autre chose, je prends sur moi de violer ma consigne. Seulement promettez-moi de m'obéir... oui, oui, je dis de m'obéir. Il y a eu de la mort ici, et je ne suis pas s?r qu'il n'y en ait plus...
L'accent du bonhomme respirait une émotion profonde. Je fis de mon mieux pour lui donner confiance, la grille s'ouvrit et j'entrai.
--Voyez-vous, reprit-il, avant tout il faut que je vous parle: j'ai beaucoup, beaucoup de choses à vous dire. Vous êtes plus savant que moi, vous comprendrez peut-être. Moi, j'ai bien peur que mon pauvre ma?tre ait la cervelle détraquée... Pas par là, fit-il brusquement au pied du chateau, il ne faut pas qu'il vous voie. S'il se doutait que vous êtes ici, peut-être qu'il s'enfuirait. Suivez-moi; dans un instant, nous allons être tranquilles.
Il prenait les plus grandes précautions pour ne faire aucun bruit, et je l'imitai. Nous atteign?mes une petite porte, seule ouverture sur la fa?ade de l'Ouest, et nous nous trouvames dans une sorte d'office, de fruitier plut?t. La nuit était presque complète.
--Asseyez-vous, me dit Jean. Je vous demande pardon de vous recevoir ainsi, mais il le faut... il le faut, répéta-t-il en secouant la tête. Je vais voir si tout est en ordre et surtout... s'il ne se doute de rien.
J'étais impatient: après tout, je connaissais assez mon ami Paul pour ne rien redouter d'une première entrevue. D?t-il avoir en me revoyant une crise de désespoir, je prendrais sur lui l'empire nécessaire, et même cette explosion, trop longtemps contenue, lui serait salutaire.
Jean revint bient?t.
--Monsieur ne s'est aper?u de rien. Il est dans son cabinet, comme toujours à cette heure. En voilà pour jusqu'à demain matin. Nous sommes seuls, bien seuls, nous pouvons causer. Tenez, je me demande maintenant si vous avez bien fait de venir.
--Que j'aie eu tort ou raison, repris-je assez vivement, c'est ce qu'il sera temps d'examiner lorsque je t'aurai
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.