La dame de Monsoreau, vol 3 | Page 7

Alexandre Dumas, père
qu'avec l'âge les sentiments s'émoussent; je dis....
Il s'arrêta.
--Que dites-vous? reprit Catherine avec son calme habituel.
--Je dis que vous ne m'aimez plus comme autrefois.
--Vous vous trompez, dit Catherine avec une froideur croissante. Vous
êtes mon fils bien-aimé, Henri; mais celui dont vous vous plaignez est
aussi mon fils.
--Ah! trêve à la morale maternelle, madame, dit Henri furieux; nous
connaissons ce que cela vaut.
--Eh! vous devez le connaître mieux que personne, mon fils; car,
vis-à-vis de vous, ma morale a toujours été de la faiblesse.
--Et, comme vous en êtes aux repentirs, vous vous repentez.
--Je sentais bien que nous en viendrions là, mon fils, dit Catherine;
voilà pourquoi je gardais le silence.
--Adieu, madame, adieu, dit Henri; je sais ce qu'il me reste à faire,
puisque, chez ma mère même, il n'y a plus de compassion pour moi. Je
trouverai des conseillers capables de seconder mon ressentiment et de
m'éclairer dans cette rencontre.
--Allez, mon fils, dit tranquillement la Florentine, et que l'esprit de
Dieu soit avec ces conseillers, car ils en auront bien besoin pour vous
tirer d'embarras.

Et elle le laissa s'éloigner sans faire un geste, sans dire un mot pour le
retenir.
--Adieu, madame, répéta Henri. Mais, près de la porte, il s'arrêta.
--Henri, adieu, dit la reine; seulement encore un mot. Je ne prétends pas
vous donner un conseil, mon fils; vous n'avez pas besoin de moi, je le
sais; mais priez vos conseillers de bien réfléchir avant d'émettre leur
avis, et de bien réfléchir encore avant de mettre cet avis à exécution.
--Oh! oui, dit Henri, se rattachant à ce mot de sa mère et en profitant
pour ne pas aller plus loin, car la circonstance est difficile, n'est-ce pas,
madame?
--Grave, dit lentement Catherine en levant les yeux et les mains au ciel,
bien grave, Henri.
Le roi, frappé de cette expression de terreur qu'il croyait lire dans les
yeux de sa mère, revint près d'elle.
--Quels sont ceux qui l'ont enlevé? en avez-vous quelque idée, ma
mère?
Catherine ne répondit point.
--Moi, dit Henri, je pense que ce sont les Angevins.
Catherine sourit avec cette finesse qui montrait toujours en elle un
esprit supérieur veillant pour terrasser et confondre l'esprit d'autrui.
--Les Angevins? répéta-t-elle.
--Vous ne le croyez pas, dit Henri, tout le monde le croit.
Catherine fit encore un mouvement d'épaules.
--Que les autres croient cela, bien, dit-elle; mais vous, mon fils, enfin!
--Quoi donc! madame!... Que voulez-vous dire?... Expliquez-vous, je
vous en supplie.
--A quoi bon m'expliquer?
--Votre explication m'éclairera.
--Vous éclairera! Allons donc! Henri, je ne suis qu'une femme vieille et
radoteuse; ma seule influence est dans mon repentir et dans mes
prières.
--Non, parlez, parlez, ma mère, je vous écoute. Oh! vous êtes encore,
vous serez toujours notre âme à nous tous. Parlez.
--Inutile; je n'ai que des idées de l'autre siècle, et la défiance fait tout
l'esprit des vieillards. La vieille Catherine! donner, à son âge, un
conseil qui vaille encore quelque chose! Allons donc! mon fils,
impossible!

--Eh bien! soit, ma mère, dit Henri; refusez-moi votre secours,
privez-moi de votre aide. Mais, dans une heure, voyez-vous, que ce soit
votre avis ou non, et je le saurai alors, j'aurai fait pendre tous les
Angevins qui sont à Paris.
--Faire pendre tous les Angevins! s'écria Catherine avec cet étonnement
qu'éprouvent les esprits supérieurs lorsqu'on dit devant eux quelque
énormité.
--Oui, oui, pendre, massacrer, assassiner, brûler. A l'heure qu'il est, mes
amis courent déjà la ville pour rompre les os à ces maudits, à ces
brigands, à ces rebelles!....
--Qu'ils s'en gardent, malheureux, s'écria Catherine emportée par le
sérieux de la situation; ils se perdraient eux-mêmes, ce qui ne serait rien;
mais ils vous perdraient avec eux.
--Comment cela?
--Aveugle! murmura Catherine; les rois auront donc éternellement des
jeux pour ne pas voir!
Et elle joignit les mains.
--Les rois ne sont rois qu'à la condition qu'ils vengeront les injures
qu'on leur fait, car alors leur vengeance est une justice, et, dans ce cas
surtout, tout mon royaume se lèvera pour me défendre.
--Fou, insensé, enfant, murmura la Florentine.
--Mais pourquoi cela, comment cela?
--Pensez-vous qu'on égorgera, qu'on brûlera, qu'on pendra des hommes
comme Bussy, comme Antraguet, comme Livarot, comme Ribérac,
sans faire couler des flots de sang?
--Qu'importe! pourvu qu'on les égorge.
--Oui, sans doute, si on les égorge; montrez-les-moi morts, et, par
Notre-Dame! je vous dirai que vous avez bien fait. Mais on ne les
égorgera pas; mais on aura levé pour eux l'étendard de la révolte; mais
on leur aura mis nue à la main l'épée qu'ils n'eussent jamais osé tirer du
fourreau pour un maître comme François. Tandis qu'au contraire, dans
ce cas-là, par votre imprudence, ils dégaineront pour défendre leur vie;
et votre royaume se soulèvera, non pas pour vous, mais
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