La dame de Monsoreau, vol 2 | Page 4

Alexandre Dumas, père
folle idée de fuir lui vint à l'esprit; mais
plusieurs religieux venaient déjà à sa rencontre; on le poursuivrait
indubitablement. Frère Gorenflot se rendait justice, il n'était pas taillé
pour la course; il serait rejoint, garrotté, traîné au couvent; il préféra la
résignation.
Il s'avança donc, l'oreille basse, vers ses compagnons, qui semblaient
hésiter à venir lui parler.
--Hélas! dit Gorenflot, ils font semblant de ne plus me connaître, je suis
une pierre d'achoppement.
Enfin l'un d'eux se hasarda, et, allant à Gorenflot:
--Pauvre cher frère! dit-il.
Gorenflot poussa un soupir et leva les yeux au ciel.
--Vous savez que le prieur vous attend, dit un autre.
--Ah! mon Dieu!
--Oh! mon Dieu, oui, ajouta un troisième, il a dit qu'aussitôt rentré au
couvent on vous conduisît près de lui.
--Voilà ce que je craignais, dit Gorenflot. Et, plus mort que vif, il entra
dans le couvent, dont la porte se referma sur lui.
--Ah! c'est vous! s'écria le frère portier, venez vite, vite, le révérend
prieur Joseph Foulon vous demande.
Et le frère portier, prenant Gorenflot par la main, le conduisit ou plutôt
le traîna jusque dans la chambre du prieur.
Là aussi les portes se refermèrent.
Gorenflot baissa les yeux, craignant de rencontrer le regard courroucé
de l'abbé; il se sentait seul, abandonné de tout le monde, en tête-tête
avec un supérieur qui devait être irrité, et irrité justement.
--Ah! c'est vous enfin! dit l'abbé.
--Mon révérend... balbutia le moine.
--Que d'inquiétudes vous nous avez données! dit le prieur.
--C'est trop de bontés, mon père, reprit Gorenflot, qui ne comprenait

rien à ce ton indulgent auquel il ne s'attendait pas.
--Vous avez craint de rentrer après la scène de cette nuit, n'est-ce pas?
--J'avoue que je n'ai point osé rentrer, dit le moine, dont le front
distillait une sueur glacée.
--Ah! cher frère, cher frère, dit l'abbé, c'est bien jeune et bien imprudent
ce que vous avez fait là.
--Laissez-moi vous expliquer, mon père....
--Et qu'avez-vous besoin de m'expliquer? Votre sortie....
--Je n'ai pas besoin de vous expliquer, dit Gorenflot, tant mieux, car
j'étais embarrassé de le faire.
--Je le comprends à merveille. Un moment d'exaltation, l'enthousiasme
vous a entraîné; l'exaltation est une vertu sainte; l'enthousiasme est un
sentiment sacré; mais les vertus outrées deviennent presque vices, les
sentiments les plus honorables, exagérés, sont répréhensibles.
--Pardon, mon père, dit Gorenflot; mais, si vous comprenez, je ne
comprends pas bien, moi. De quelle sortie parlez-vous?
--De celle que vous avez faite cette nuit.
--Hors du couvent? demanda timidement le moine.
--Non pas, dans le couvent.
--J'ai fait une sortie dans le couvent, moi?
--Oui, vous.
Gorenflot se gratta le bout du nez. Il commençait à comprendre qu'il
jouait aux propos interrompus.
--Je suis aussi bon catholique que vous; mais cependant votre audace
m'a épouvanté.
--Mon audace! dit Gorenflot, j'ai donc été bien audacieux?
--Plus qu'audacieux, mon fils; vous avez été téméraire.
--Hélas! il faut pardonner aux écarts d'un tempérament encore mal
assoupli; je me corrigerai, mon père.
--Oui, mais, en attendant, je ne puis m'empêcher de craindre pour vous
et pour nous les conséquences de cet éclat. Si la chose s'était passée
entre nous, ce ne serait rien.
--Comment! dit Gorenflot, la chose est sue dans le monde?
--Sans doute, vous saviez bien qu'il y avait là plus de cent laïques qui
n'ont pas perdu un mot de votre discours.
--De mon discours? fit Gorenflot de plus en plus étonné.
--J'avoue qu'il était beau, j'avoue que les applaudissements ont dû vous

enivrer, que l'assentiment unanime a pu vous monter la tête; mais, que
cela en arrive au point de proposer une procession dans les rues de
Paris, au point d'offrir de revêtir une cuirasse et de faire appel aux bons
catholiques, le casque en tête et la pertuisane sur l'épaule, vous en
conviendrez, c'est trop fort.
Gorenflot regardait le prieur avec des yeux qui passaient par toutes les
expressions de l'étonnement.
--Maintenant, continua le prieur, il y a un moyen de tout concilier.
Cette sève religieuse qui bout,dans votre coeur généreux vous ferait tort
à Paris, où il y a tant d'yeux méchants qui vous épient. Je désire que
vous alliez la dépenser....
--Où cela, mon père? demanda Gorenflot, convaincu qu'il allait faire un
tour de cachot.
--En province.
--Un exil? s'écria Gorenflot.
--En restant ici, il pourrait vous arriver bien pis, très-cher frère.
--Et que peut-il donc m'arriver?
--Un procès criminel, qui amènerait, selon toute probabilité, la prison
éternelle, sinon la mort.
Gorenflot pâlit affreusement; il ne pouvait comprendre comment il
avait encouru la prison perpétuelle et même la peine de mort pour s'être
grisé dans un cabaret et avoir passé une nuit hors de son couvent.
--Tandis qu'en vous soumettant à cet exil momentané, mon très-cher
frère, non-seulement vous échappez au danger, mais encore vous
plantez le drapeau de
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 119
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.