cela, dit Chicot.
--Ah! voyons, que faites-vous?
--Moi aussi, je vous ai dit que je voyageais.
--C'est vrai, vous me l'avez dit.
--Eh bien, je vous emm��ne.
Gorenflot regarda le Gascon avec d��fiance et en homme qui n'ose pas croire �� une pareille faveur.
--Mais �� condition que vous serez bien sage, moyennant quoi je vous permets d'��tre tr��s-impie. Acceptez-vous ma proposition?
--Si je l'accepte! dit le moine; si je l'accepte!... Mais avons-nous de l'argent pour voyager?
--Tenez, dit Chicot en tirant une longue bourse gracieusement arrondie �� partir du col.
Gorenflot fit un bond de joie.
--Combien? demanda-t-il.
--Cent cinquante pistoles.
--Et o�� allons-nous?
--Tu le verras, comp��re.
--Quand d��jeunons nous?
--Tout de suite.
--Mais sur quoi monterai-je? demanda Gorenflot avec inqui��tude.
--Pas sur mon cheval, corboeuf! tu le tuerais.
--Alors, fit Gorenflot d��sappoint��, comment faire?
--Rien de plus simple; tu as un ventre comme Sil��ne, tu es ivrogne comme lui. Eh bien, pour que la ressemblance soit parfaite, je t'ach��terai un ane.
--Vous ��tes mon roi, monsieur Chicot; vous ��tes mon soleil. Prenez l'ane un peu fort; vous ��tes mon dieu. Maintenant, o�� d��jeunons-nous?
--Ici, morbleu! ici m��me. Regarde au-dessus de cette porte, et lis, si tu sais lire.
En effet, on ��tait arriv�� devant une esp��ce d'auberge. Gorenflot suivit la direction indiqu��e par le doigt de Chicot et lut:
?Ici, jambons, oeufs, pat��s d'anguilles et vin blanc.?
Il serait difficile de dire la r��volution qui se fit sur le visage de Gorenflot �� cette vue: sa figure s'��panouit, ses yeux s'��carquill��rent, sa bouche se fendit pour montrer une double rang��e de dents blanches et affam��es. Enfin il leva ses deux bras en l'air en signe de joyeux remerc?ment, et, balan?ant son ��norme corps avec une sorte de cadence, il chanta la chanson suivante, �� laquelle son ravissement pouvait seul servir d'excuse:
Quand l'anon est deslach��, Quand le vin est d��bouch��, L'un redresse son oreille, L'autre sort de la bouteille. Mais rien n'est si ��vent�� Que le moine en pleine treille, Mais rien n'est si desbast�� Que le moine en libert��.
--Bien dit, s'��cria Chicot, et, pour ne pas perdre de temps, mettez-vous �� table, mon cher fr��re; moi, je vais vous faire servir et chercher un ane.
CHAPITRE III
COMMENT FR��RE GORENFLOT VOYAGEA SUR UN ?NE NOMM�� PANURGE, ET APPRIT DANS SON VOYAGE BEAUCOUP DE CHOSES QU'IL NE SAVAIT PAS.
Ce qui rendait Chicot si indiff��rent du soin de son propre estomac, pour lequel, tout fou qu'il ��tait ou qu'il se vantait d'��tre, il avait d'ordinaire autant de condescendance que pouvait en avoir un moine, c'est qu'avant de quitter l'h?tel de la Corne d'Abondance il avait copieusement d��jeun��.
Puis les grandes passions nourrissent, �� ce qu'on dit, et Chicot, dans ce moment m��me, avait une grande passion.
Il installa donc fr��re Gorenflot �� une table de la petite maison, et on lui passa par une sorte de tour du jambon, des oeufs et du vin, qu'il se mit �� exp��dier avec sa c��l��rit�� et sa continuit�� ordinaires.
Cependant Chicot ��tait all�� dans le voisinage s'enqu��rir de l'ane demand�� par son compagnon; il trouva chez des paysans de Sceaux, entre un boeuf et un cheval, cet ane pacifique, objet des voeux de Gorenflot: il avait quatre ans, tirait sur le brun et soutenait un corps assez dodu sur quatre jambes effil��es comme des fuseaux. En ce temps, un pareil ane co?tait vingt livres; Chicot en donna vingt-deux et fut b��ni pour sa magnificence.
Lorsque Chicot revint avec sa conqu��te, et qu'il entra avec elle dans la chambre m��me o�� d?nait Gorenflot, Gorenflot, qui venait d'absorber la moiti�� d'un pat�� d'anguilles et de vider sa troisi��me bouteille, Gorenflot, enthousiasm�� de la vue de sa monture et d'ailleurs dispos�� par les fum��es d'un vin g��n��reux �� tous les sentiments tendres, Gorenflot sauta au cou de son ane, et, apr��s l'avoir embrass�� sur l'une et l'autre machoire, il introduisit entre les deux une longue cro?te de pain, qui fit braire d'aise celui-ci.
--Oh! oh! dit Gorenflot, voil�� un animal qui a une belle voix, nous chanterons quelquefois ensemble. Merci, ami Chicot, merci.
Et il baptisa incontinent son ane du nom de Panurge.
Chicot jeta un coup d'oeil sur la table et vit que, sans tyrannie aucune, il pouvait exiger de son compagnon qu'il restat de son d?ner o�� il en ��tait.
Il se mit donc �� dire de cette voix �� laquelle Gorenflot ne savait point r��sister:
--Allons, en route, comp��re, en route. A Melun nous go?terons.
Le ton de voix de Chicot ��tait si imp��ratif, et Chicot, au milieu de ce commandement un peu dur, avait su glisser une si douce promesse, qu'au lieu de faire aucune observation Gorenflot r��p��ta:
--A Melun! �� Melun!
Et, sans plus tarder, Gorenflot, �� l'aide d'une chaise, se hissa sur son ane v��tu d'un simple coussin de cuir, d'o�� pendaient deux lani��res en guise d'��triers. Le moine passa ses sandales dans les deux lani��res, prit la longe de l'ane dans sa main droite, appuya son poing gauche sur la hanche, et sortit de l'h?tel, majestueux
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