l'eau et presque en face du Louvre, cette illustre famille de Montmorency qui, alliée à la royauté de France, marchait l'égale des familles princières. Cette fête particulière, qui succédait à la fête publique, avait pour but de célébrer les noces de Fran?ois d'Epinay de Saint-Luc, grand ami du roi Henri III et l'un de ses favoris les plus intimes, avec Jeanne de Cossé-Brissac, fille du maréchal de France de ce nom.
Le repas avait eu lieu au Louvre, et le roi, qui avait consenti à grand'peine au mariage, avait paru au festin avec un visage sévère qui n'avait rien d'approprié à la circonstance. Son costume, en outre, paraissait en harmonie avec son visage: c'était ce costume marron foncé sous lequel Clouet nous l'a montré assistant aux noces de Joyeuse, et cette espèce de spectre royal, sérieux jusqu'à la majesté, avait glacé d'effroi tout le monde, et surtout la jeune mariée, qu'il regardait fort de travers toutes les fois qu'il la regardait.
Cependant cette attitude sombre du roi, au milieu de la joie de cette fête, ne semblait étrange à personne; car la cause en était un de ces secrets de coeur que tout le monde c?toie avec précaution, comme ces écueils à fleur d'eau auxquels on est s?r de se briser en les touchant.
A peine le repas terminé, le roi s'était levé brusquement, et force avait été aussit?t à tout le monde, même à ceux qui avouaient tout bas leur désir de rester à table, de suivre l'exemple du roi. Alors Saint-Luc avait jeté un long regard sur sa femme, comme pour puiser du courage dans ses yeux, et, s'approchant du roi:
--Sire, lui dit-il, Votre Majesté me fera-t-elle l'honneur d'accepter les violons que je veux lui donner à l'h?tel de Montmorency ce soir?
Henri III s'était alors retourné avec un mélange de colère et de chagrin, et, comme Saint-Luc, courbé devant lui, l'implorait avec une voix des plus douces et une mine des plus engageantes:
--Oui, monsieur, avait-il répondu, nous irons, quoique vous ne méritiez certainement pas cette preuve d'amitié de notre part.
Alors mademoiselle de Brissac, devenue madame de Saint-Luc, avait remercié humblement le roi. Mais Henri avait tourné le dos sans répondre à ses remerc?ments.
--Qu'a donc le roi contre vous, monsieur de Saint-Luc? avait alors demandé la jeune femme à son mari.
--Belle amie, répondit Saint-Luc, je vous raconterai cela plus tard, quand cette grande colère sera dissipée.
--Et se dissipera-t-elle? demanda Jeanne.
--Il le faudra bien, répondit le jeune homme.
Mademoiselle de Brissac n'était point encore assez madame de Saint-Luc pour insister; elle renfon?a sa curiosité au fond de son coeur, se promettant de trouver, pour dicter ses conditions, un moment où Saint-Luc serait bien obligé de les accepter.
On attendait donc Henri III à l'h?tel de Montmorency au moment où s'ouvre l'histoire que nous allons raconter à nos lecteurs. Or il était onze heures déjà, et le roi n'était pas encore arrivé.
Saint-Luc avait convié à ce bal tout ce que le roi et tout ce que lui-même comptait d'amis; il avait compris dans les invitations les princes et les favoris des princes, particulièrement ceux de notre ancienne connaissance, le duc d'Alen?on, devenu duc d'Anjou à l'avènement de Henri III au tr?ne; mais M. le duc d'Anjou, qui ne s'était pas trouvé au festin du Louvre, semblait ne pas devoir se trouver davantage à la fête de l'h?tel Montmorency.
Quant au roi et à la reine de Navarre, ils s'étaient, comme nous l'avons dit dans un ouvrage précédent, sauvés dans le Béarn, et faisaient de l'opposition ouverte en guerroyant à la tête des huguenots.
M. le duc d'Anjou, selon son habitude, faisait aussi de l'opposition, mais de l'opposition sourde et ténébreuse, dans laquelle il avait toujours soin de se tenir en arrière, tout en poussant en avant ceux de ses amis que n'avait point guéris l'exemple de la Mole et de Coconnas, dont nos lecteurs, sans doute, n'ont point encore oublié la terrible mort.
Il va sans dire que ses gentilshommes et ceux du roi vivaient dans une mauvaise intelligence qui amenait au moins deux ou trois fois par mois des rencontres, dans lesquelles il était bien rare que quelqu'un des combattants ne demeurat point mort sur la place, ou tout au moins grièvement blessé.
Quant à Catherine, elle était arrivée au comble de ses voeux. Son fils bien-aimé était parvenu à ce tr?ne qu'elle ambitionnait tant pour lui, ou plut?t pour elle; et elle régnait sous son nom, tout en ayant l'air de se détacher des choses de ce monde et de n'avoir plus souci que de son salut.
Saint-Luc, tout inquiet de ne voir arriver aucune personne royale, cherchait à rassurer son beau-père, fort ému de cette mena?ante absence. Convaincu, comme tout le monde, de l'amitié que le roi Henri portait à Saint-Luc, il avait cru s'allier à une faveur, et voilà que sa fille, au contraire, épousait quelque chose
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