La curée | Page 6

Emile Zola
Paris flamboyant des nuits d'hiver s'illuminait pour elle, lui préparait la jouissance inconnue que rêvait son assouvissement.
La calèche prit l'avenue de la Reine-Hortense, et vint s'arrêter au bout de la rue Monceau, à quelques pas du boulevard Malesherbes, devant un grand h?tel situé entre cour et jardin. Les deux grilles chargées d'ornements dorés, qui s'ouvraient sur la cour, étaient chacune flanquées d'une paire de lanternes, en forme d'urnes également couvertes de dorures, et dans lesquelles flambaient de larges flammes de gaz. Entre les deux grilles, le concierge habitait un élégant pavillon, qui rappelait vaguement un petit temple grec.
Comme la voiture allait entrer dans la cour, Maxime sauta lestement à terre.
--Tu sais, lui dit Renée, en le retenant par la main, nous nous mettons à table à sept heures et demie. Tu as plus d'une heure pour aller t'habiller. Ne te fais pas attendre.
Et elle ajouta avec un sourire:
--Nous aurons les Mareuil.... Ton père désire que tu sois très galant avec Louise.
Maxime haussa les épaules.
--En voilà une corvée! murmura-t-il d'une voix maussade. Je veux bien épouser, mais faire sa cour, c'est trop bête.... Ah! que tu serais gentille, Renée, si tu me délivrais de Louise, ce soir.
Il prit son air dr?le, la grimace et l'accent qu'il empruntait à Lassouche, chaque fois qu'il allait débiter une de ses plaisanteries habituelles:
--Veux-tu, belle-maman chérie?
Renée lui secoua la main comme à un camarade. Et d'un ton rapide, avec une audace nerveuse de raillerie:
--Eh! si je n'avais pas épousé ton père, je crois que tu me ferais la cour.
Le jeune homme dut trouver cette idée très comique, car il avait déjà tourné le coin du boulevard Malesherbes qu'il riait encore.
La calèche entra et vint s'arrêter devant le perron.
Ce perron, aux marches larges et basses, était abrité par une vaste marquise vitrée, bordée d'un lambrequin à franges et à glands d'or. Les deux étages de l'h?tel s'élevaient sur des offices, dont on apercevait, presque au ras du sol, les soupiraux carrés garnis de vitres dépolies. En haut du perron, la porte du vestibule avan?ait, flanquée de maigres colonnes prises dans le mur, formant ainsi une sorte d'avant-corps percé à chaque étage d'une baie arrondie, et montant jusqu'au toit, où il se terminait par un delta. De chaque c?té, les étages avaient cinq fenêtres, régulièrement alignées sur la fa?ade, entourées d'un simple cadre de pierre. Le toit, mansardé, était taillé carrément, à larges pans presque droits.
Mais, du c?té du jardin, la fa?ade était autrement somptueuse. Un perron royal conduisait à une étroite terrasse qui régnait tout le long du rez-de-chaussée; la rampe de cette terrasse, dans le style des grilles du parc Monceau, était encore plus chargée d'or que la marquise et les lanternes de la cour. Puis l'h?tel se dressait, ayant aux angles deux pavillons, deux sortes de tours engagées à demi dans le corps du batiment, et qui ménageaient à l'intérieur des pièces rondes. Au milieu, une autre tourelle, plus enfoncée, se renflait légèrement. Les fenêtres, hautes et minces pour les pavillons, espacées davantage et presque carrées sur les parties plates de la fa?ade, avaient, au rez-de-chaussée, des balustrades de pierre, et des rampes de fer forgé et doré aux étages supérieurs. C'était un étalage, une profusion, un écrasement de richesses. L'h?tel disparaissait sous les sculptures. Autour des fenêtres, le long des corniches, couraient des enroulements de rameaux et de fleurs; il y avait des balcons pareils à des corbeilles de verdure, que soutenaient de grandes femmes nues, les hanches tordues, les pointes des seins en avant; puis, ?à et là, étaient collés des écussons de fantaisie, des grappes, des roses, toutes les efflorescences possibles de la pierre et du marbre. A mesure que l'oeil montait, l'h?tel fleurissait davantage.
Autour du toit, régnait une balustrade sur laquelle étaient posées, de distance en distance, des urnes où des flammes de pierre flambaient. Et là, entre les oeils-de-boeuf des mansardes, qui s'ouvraient dans un fouillis incroyable de fruits et de feuillages, s'épanouissaient les pièces capitales de cette décoration étonnante, les frontons des pavillons, au milieu desquels reparaissaient les grandes femmes nues, jouant avec des pommes, prenant des poses, parmi des poignées de jonc. Le toit, chargé de ces ornements, surmonté encore de galeries de plomb découpées, de deux paratonnerres et de quatre énormes cheminées symétriques, sculptées comme le reste, semblait être le bouquet de ce feu d'artifice architectural.
A droite, se trouvait une vaste serre, scellée au flanc même de l'h?tel, communiquant avec le rez-de-chaussée par la porte-fenêtre d'un salon. Le jardin, qu'une grille basse, masquée par une haie, séparait du parc Monceau, avait une pente assez forte. Trop petit pour l'habitation, si étroit qu'une pelouse et quelques massifs d'arbres verts l'emplissaient, il était simplement comme une butte, comme un socle de verdure, sur lequel se campait fièrement l'h?tel en toilette de gala. A la voir du parc, au-dessus de
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