mots usuels et de tous ceux qui ne contiennent pas un mystère. Mais cela serait une duperie; les mots les plus ordinaires et les locutions courantes peuvent faire figure de surprise. Enfin le cliché véritable, comme je l'ai expliqué antérieurement, se reconna?t à ceci que l'image qu'il détient en est à mi-chemin de l'abstraction, au moment où, déjà fanée, cette image n'est pas encore assez nulle pour passer inaper?ue et se ranger parmi les signes qui n'ont de vie et de mouvement qu'à la volonté de l'intelligence[8]. Très souvent, dans le cliché, un des mots a gardé un sens concret et ce qui nous fait sourire c'est moins la banalité de la locution que l'accolement d'un mot vivant et d'un mot évanoui. Cela est très visible dans les formules telles que: le sein de l'Académie, l'activité dévorante, ouvrir son coeur, _la tristesse était peinte sur son visage, rompre la monotonie_, embrasser des principes. Cependant il y a des clichés où tous les mots semblent vivants: une rougeur colora ses joues; d'autres où ils semblent tous morts: il était au comble de ses voeux. Mais ce dernier cliché s'est formé à un moment où le mot comble était très vivant et tout à fait concret; c'est parce qu'il contient encore un résidu d'image sensible que son alliance avec voeux nous contrarie. Dans le précédent, le mot colorer est devenu abstrait, puisque le verbe concret de cette idée est colorier, et il s'allie très mal avec rougeur et avec joues. Je ne sais où mènerait un travail minutieux sur cette partie de la langue dont la fermentation est inachevée; sans doute finirait-on par démontrer assez facilement que dans la vraie notion du cliché l'incohérence a sa place à c?té de la banalité. Pour la pratique du style, il y aurait là matière à des avis motivés que M. Albalat pourrait faire fructifier.
[Note 8: Voir le chapitre du Cliché, dans _l'Esthétique de la Langue fran?aise_.]
VI
Il est facheux que le chapitre des périphrases soit expédié en quelques lignes; on attendait l'analyse de cette curieuse tendance des hommes à remplacer par une description le mot qui est le signe de la chose alléguée. Cette maladie, qui est fort ancienne, puisqu'on a trouvé des énigmes sur les cylindres babyloniens (l'énigme du vent à peu près dans les termes où nos enfants la connaissent), est peut-être l'origine même de toute la poésie. Si le secret d'ennuyer est le secret de tout dire, le secret de plaire est le secret de dire tout juste ce qu'il faut pour être, non pas même compris, mais deviné. La périphrase, telle que maniée par les poètes didactiques, n'est peut-être ridicule que par l'impuissance poétique dont elle témoigne, car il y a bien des manières agréables de ne pas nommer ce que l'on veut évoquer. Le véritable poète, ma?tre de son langage, n'use que de périphrases si nouvelles à la fois et si claires dans leur pénombre que toute intelligence un peu sensuelle les préfère au mot trop absolu; il ne veut ni décrire, ni piquer la curiosité, ni faire preuve d'érudition. Mais quoi qu'il fasse il écrit par périphrase et il n'est pas s?r que toutes celles qu'il a créées demeurent longtemps fra?ches; la périphrase est une métaphore: elle dure ce que durent les métaphores. A la vérité, il y a loin de la périphrase de Verlaine, vague et toute musicale,
Parfois aussi le dard d'un insecte jaloux Inquiétait le col des belles sous les branches,
aux énigmes mythologiques d'un Lebrun, qui appelle le ver à soie:
L'amant des feuilles de Thisbé!
Ici M. Albalat cite fort à propos les paroles de Buffon: que rien ne dégrade plus un écrivain que la peine qu'il se donne ?pour exprimer des choses ordinaires ou communes d'une manière singulière ou pompeuse. On le plaint d'avoir passé tant de temps à faire de nouvelles combinaisons de syllabes pour ne dire que ce que tout le monde dit?. Delille s'est rendu célèbre par son go?t pour la périphrase didactique; mais je crois qu'il a été mal jugé. Ce n'est pas la peur du mot propre qui lui fait décrire ce qu'il faudrait nommer, c'est la raideur de sa poétique et la médiocrité de son talent; il n'est imprécis que par impuissance et il n'est très mauvais que quand il est imprécis. Méthode ou impéritie, cela nous a valu d'amusantes énigmes:
Ces monstres qui de loin semblent un vaste écueil.
L'animal recouvert de son épaisse cro?te, Celui dont la coquille est arrondie en vo?te.
L'équivoque habitant de la terre et des ondes.
Et cet oiseau parleur que sa triste beauté Ne dédommage pas de sa stérilité.
Et l'arbre aux pommes d'or, aux rameaux toujours verts. Là pour l'art des Didot Annonay voit para?tre Les feuilles où ces vers seront tracés peut-être.
Et ces rameaux vivants, ces plantes populeuses, De deux règnes rivaux races miraculeuses.
Le puissant agaric, qui
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