voici par exemple les pages où il est démontré que l'idée est liée à la forme et que changer la forme c'est modifier l'idée: ?Quand on dit d'un morceau: le fond est bon, mais la forme est mauvaise,--cela ne signifie rien?. Voilà de bons principes, quoique l'idée puisse exister comme résidu de sensation, indépendante des mots et surtout d'un choix de mots; mais les idées toutes nues à l'état de larves errantes n'ont aucun intérêt. Peut-être même appartiennent-elles à tout le monde; peut-être toutes les idées sont-elles communes à tous? Mais comme celle-ci qui se promène, attendant un évocateur, va se révéler différente selon la parole qui l'aura sortie des ténèbres! Que vaudraient, dépouillées de leur pourpre, les idées de Bossuet? Ce sont celles du premier séminariste qui passera et, s'il les proférait, les gens reculeraient, humiliés de tant de sottise, qui s'y enivrent dans les Sermons et dans les Oraisons. Et l'impression sera pareille si, après avoir écouté avec complaisance les paradoxes lyriques de Michelet, on les retrouve dans les discours bas de quelque sénateur, dans les tristes commentaires de la presse dévouée. C'est pour cela que les poètes latins et le plus grand, Virgile, disparaissent traduits, se ressemblent tous dans l'uniformité pénible d'une pompe normalienne. Si Virgile avait écrit selon le style de M. Pessonneaux, ou de M. Benoist, il serait Benoist, il serait Pessonneaux, et les moines eussent raclé ses parchemins pour substituer à ses vers quelque bon contrat de louage d'un intérêt s?r et durable. A propos de ces évidences, M. Albalat se pla?t à réfuter l'opinion de M. Zola, que ?la forme est ce qui change et passe le plus vite? et que ?on gagne l'immortalité en mettant debout des créatures vivantes?. Autant que cette dernière phrase se peut interpréter, elle signifierait ceci: ce qu'on appelle la vie en art est indépendant de la forme. Peut-être est-ce encore moins clair; peut-être cela n'a-t-il aucun sens? Hippolyte aussi, aux portes de Trézène, était ?sans forme et sans couleur?; seulement il était mort. Tout ce que l'on peut concéder à cette théorie, c'est qu'une oeuvre originellement belle et d'une forme originale, si elle survit à son siècle, et plus, à sa langue, les hommes ne l'admirent plus que par imitation, sur l'injonction traditionnelle des éducateurs. Découverte maintenant au fond des Herculanums, l'Iliade ne nous donnerait que des sensations archéologiques; elle intéresserait au même degré que la _Chanson de Roland_; mais en comparant les deux poèmes, on constaterait, mieux qu'on ne l'a fait encore, qu'ils correspondent à des moments de civilisation extrêmement différents puisque l'un est rédigé tout en images (un peu roides) et que dans l'autre il y en a si peu qu'on les a comptées. Il n'y a d'ailleurs aucune relation nécessaire entre le mérite et la durée d'une oeuvre; mais quand un livre a survécu, les auteurs ?d'analyses et extraits conformes au programme? savent très bien prouver sa perfection ?inimitable? et ressusciter, le temps d'une conférence, la momie qui va retomber sous le joug de ses bandelettes. Il ne faut pas mêler l'idée de gloire à l'idée de beauté; la première est tout à fait dépendante des révolutions de la mode et du go?t; la seconde est absolue, dans la mesure où le sont les sensations humaines; l'une dépend des moeurs, l'autre dépend de la loi.
La forme passe, c'est vrai; mais on ne voit pas vraiment comment la forme pourrait survivre à la matière qui en est la substance; si la beauté d'un style s'efface ou tombe en poussière, c'est que la langue a modifié l'agrégat de ses molécules, les mots, et les molécules elles-mêmes, et que ce travail intérieur ne s'est pas fait sans boursouflures et sans tremblements. Si les fresques de l'Angelico ont ?passé?, ce n'est pas parce que le temps les a rendues moins belles, c'est parce que l'humidité a gonflé le ciment où la peinture est embue. Les langues se gonflent comme le ciment et s'écaillent; ou plut?t elles font comme les platanes qui ne vivent qu'en modifiant constamment leur écorce et qui laissent tomber dans la mousse, au premier printemps, les noms d'amour gravés à même leur chair.
Mais qu'importe l'avenir? Qu'importe l'approbation d'hommes qui n'existeront pas tels que nous les ferions, si nous étions démiurges? Qu'est-ce que cette gloire dont jouirait un homme à partir du moment où il sort de la conscience? Il est temps que nous apprenions à vivre dans la minute, à nous accommoder de l'heure qui passe, même mauvaise, à laisser aux enfants ce souci des temps futurs qui est une faiblesse intellectuelle--quoique parfois une na?veté d'homme de génie. Il est bien illogique de vouloir l'immortalité des oeuvres lorsqu'on affirme et lorsqu'on désire la mortalité des ames. Le Virgile de Dante vivait au delà de la vie sa gloire devenue éternelle: de cette conception éblouissante il
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