La corde au cou | Page 7

Emile Gaboriau
le médecin.
--Je n'en veux pas!
--Résignez-vous alors à souffrir... Et tenez-vous tranquille, car chacun
de vos mouvements augmente la souffrance. (Sur quoi, épongeant un
filet de sang qui venait de jaillir sous son bistouri:) Du reste, ajouta-t-il,
nous allons prendre quelques minutes de repos. Mes yeux et ma main
se fatiguent... Je ne suis plus jeune, décidément.
Le docteur Seignebos avait soixante ans. C'était un petit homme au
teint bilieux, maigre, chauve, d'une tenue plus que négligée, et porteur
d'une paire de lunettes d'or qu'il passait sa vie à retirer, à essuyer et à
remettre.
Sa réputation médicale était grande, on citait de lui, à Sauveterre, des
cures merveilleuses; cependant il n'avait que peu d'amis. Les ouvriers
lui reprochaient sa morgue dédaigneuse, les paysans son âpreté au gain,
et les bourgeois ses opinions politiques.
On rapporte qu'un soir, dans un banquet, il s'était écrié en levant son
verre: «Je bois à la mémoire du seul médecin dont j'envie la pure et
noble gloire: à la mémoire de mon compatriote le docteur Guillotin, de
Saintes!» Avait-il vraiment porté ce toast? Le positif, c'est qu'il se
posait en démocrate farouche, et qu'il était l'âme et l'oracle des petits
conciliabules socialistes des environs. Il étonnait quand il entamait le
chapitre des réformes qu'il rêvait et des progrès qu'il concevait. Et il
faisait frémir par le don dont il parlait de «porter le fer et le feu jusqu'au
fond des entrailles pourries de la société».
Ces opinions, des théories utilitaires souvent étranges, certaines
expériences plus étranges encore qu'il poursuivait au su et vu de tous,
avaient fait douter parfois de l'intégrité de l'intellect du docteur
Seignebos. Les plus bienveillants disaient: «C'est un original.»
Cet original, comme de raison, n'aimait guère M. Séneschal, un ancien
avoué réactionnaire. Il tenait en piètre estime le procureur de la
République, un inutile fureteur de bouquins. Mais il détestait

cordialement M. Galpin-Daveline.
Pourtant, il les salua tous les trois, et sans se soucier d'être ou non
entendu de son malade:
--Vous voyez, leur dit-il, monsieur de Claudieuse en très fâcheux état.
C'est avec un fusil chargé de plomb de chasse qu'on lui a tiré dessus, et
les désordres des blessures de cette origine sont incalculables.
J'inclinerais volontiers à croire qu'aucun organe essentiel n'a été atteint,
mais je n'en répondrais pas. J'ai vu souvent, dans ma pratique, des
lésions minuscules telles qu'en peut produire un grain de plomb, lésions
mortelles cependant, ne se révéler qu'après douze ou quinze heures.
Il eût continué longtemps, s'il n'eût été brusquement interrompu:
--Monsieur le docteur, prononça le juge d'instruction, c'est parce qu'un
crime a été commis que je suis ici. Il faut que le coupable soit retrouvé
et puni. Et c'est au nom de la justice que, dès ce moment, je requiers le
concours de vos lumières.
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Par cette seule phrase, M. Galpin-Daveline s'emparait despotiquement
de la situation et reléguait au second plan le docteur Seignebos, M.
Séneschal et le procureur de la République lui-même. Rien plus
n'existait qu'un crime dont l'auteur était à découvrir, et un juge: lui.
Mais il avait beau exagérer sa raideur habituelle et ce dédain des
sentiments humains qui a fait à la justice plus d'ennemis que ses plus
cruelles erreurs, tout en lui tressaillait d'une satisfaction contenue, tout,
jusqu'aux poils de sa barbe, taillée comme les buis de Versailles.
--Donc, monsieur le médecin, reprit-il, voyez-vous quelque
inconvénient à ce que j'interroge le blessé?
--Mieux vaudrait certainement le laisser en repos, gronda le docteur
Seignebos, je viens de le martyriser pendant une heure, je vais dans un
moment recommencer à extraire les grains de plomb dont ses chairs
sont criblées. Cependant, si vous y tenez...
--J'y tiens...
--Eh bien! dépêchez-vous, car la fièvre ne va pas tarder à le prendre.
M. Daubigeon ne cachait guère son mécontentement.
--Daveline! faisait-il à demi-voix, Daveline!
L'autre n'y prenait garde. Ayant tiré de sa poche un calepin et un crayon,
il s'approcha du lit de M. de Claudieuse, et toujours du même ton:
--Vous sentez-vous en état, monsieur le comte, demanda-t-il, de

répondre à mes questions?
--Oh! parfaitement.
--Alors, veuillez me dire ce que vous savez des funestes événements de
cette nuit.
Aidé de sa femme et du docteur Seignebos, le comte de Claudieuse se
haussa sur ses oreillers.
--Ce que je sais, commença-t-il, n'aidera guère, malheureusement, les
investigations de la justice... Il pouvait être onze heures, car je ne
saurais même préciser l'heure, j'étais couché, et depuis un bon moment
j'avais soufflé ma bougie, lorsqu'une lueur très vive frappa mes vitres.
Je m'en étonnai, mais très confusément, car j'étais dans cet état
d'engourdissement qui, sans être le sommeil, n'est déjà plus la veille. Je
me dis bien: «Qu'est-ce que cela?», mais je ne me levai pas. C'est un
grand bruit, comme le fracas d'un mur qui s'écroule, qui me rendit au
sentiment
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