plus pierre sur pierre du
Valpinson.
L'effet de ce nom fut prodigieux.
--Quoi! demanda le maire d'une voix étranglée, c'est au Valpinson
qu'est le feu?
--Oui.
--Chez le comte de Claudieuse?
--Comme de juste, pardi!
--Imbécile! que ne le disiez-vous immédiatement! s'écria le maire. (Il
n'hésitait plus.) Vite, dit-il à son domestique, viens me donner de quoi
m'habiller... C'est-à-dire, non! Madame m'aidera, car il n'y a pas une
seconde à perdre. Toi, tu vas courir chez Bolton, tu sais, le tambour, et
tu lui commanderas de ma part de battre la générale, à l'instant, partout.
Tu passeras ensuite chez le capitaine Parenteau, tu lui expliqueras ce
qui en est et tu le prieras de prendre la clef des pompes à la mairie, chez
le concierge. Attends!... Cela fait, tu reviendras ici, atteler... Le feu au
Valpinson!... J'accompagnerai les pompiers!... Allons, cours, frappe
aux portes, crie au feu! On se réunira place du Marché-Neuf!...
Et le domestique s'étant éloigné de toute la vitesse de ses jambes:
--Quant à vous, mon brave, reprit M. Séneschal en s'adressant au
paysan, enfourchez votre bête et allez rassurer monsieur de Claudieuse,
qu'on ne perde pas courage, qu'on redouble d'efforts, les secours
arrivent.
Mais le paysan ne bougeait pas.
--Avant de retourner au Valpinson, dit-il, j'ai encore une commission à
faire en ville.
--Hein! vous dites?...
--Il faut que j'aille chercher, pour le ramener avec moi, monsieur
Seignebos, le médecin...
--Le docteur! Y a-t-il donc quelqu'un de blessé?
--Oui, le maître, monsieur de Claudieuse.
--L'imprudent! Il se sera jeté au danger, selon son habitude...
--Oh, non! C'est qu'il a reçu deux coups de fusil.
Peu s'en fallut que le maire de Sauveterre ne laissât échapper son
bougeoir.
--Deux coups de fusil! s'écria-t-il. Où? Quand? Comment? De qui?
--Ah! je ne sais pas.
--Cependant...
--Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'on l'a porté dans une petite
grange, où le feu n'était pas encore. C'est là que je l'ai vu, étendu sur
une botte de paille, blanc comme un linge, les yeux fermés et tout
couvert de sang.
--Mon Dieu! serait-il donc mort?
--Il ne l'était pas quand je suis parti.
--Et la comtesse?
--La dame de Claudieuse, répondit le paysan, avec un accent marqué de
vénération, était dans la grange, agenouillée près de monsieur le comte,
lavant ses blessures avec de l'eau fraîche. Les deux petites demoiselles
étaient là aussi...
M. Séneschal frissonnait.
--Un crime aurait donc été commis, murmura-t-il.
--Pour cela, oui, sûrement.
--Par qui? Dans quel but?
--Ah! voilà!...
--Monsieur de Claudieuse est très emporté, c'est vrai, très violent, mais
c'est le meilleur et le plus juste des hommes, tout le monde le sait.
--Tout le monde.
--Il n'a jamais fait que du bien dans le pays.
--Personne n'oserait dire le contraire.
--Quant à la comtesse...
--Oh! fit vivement le paysan, c'est la sainte des saintes.
Le maire essayait de conclure.
--Le coupable, poursuivit-il, serait donc un étranger. Nous sommes
infestés de vagabonds, de mendiants de passage. Il n'est pas de jour
qu'il ne se présente à la mairie, pour demander des secours de route, des
hommes à figure patibulaire.
De la tête, le paysan approuvait.
--C'est bien mon idée, dit-il. Et la preuve, c'est qu'en venant je songeais
qu'après avoir averti le médecin, je ferais peut-être bien de prévenir la
justice...
--Inutile! interrompit M. Séneschal, c'est un soin qui me regarde. Avant
dix minutes je serai chez le procureur de la République... Allons, ne
ménagez pas votre cheval, et dites bien à madame de Claudieuse que
nous vous suivons.
De sa vie administrative, le maire de Sauveterre n'avait été si rudement
secoué. Il en perdait la tête, ni plus ni moins que ce fameux jour où il
lui était tombé à l'improviste neuf cents mobiles à nourrir et à loger.
Jamais, sans l'assistance de sa femme, il n'en eût fini de se vêtir.
Pourtant, il était prêt lorsque son domestique reparut.
Ce brave garçon s'était acquitté de toutes ses commissions, et déjà, dans
le lointain de la haute ville, retentissaient les roulements sourds de la
générale.
--Maintenant, attelle, lui dit M. Séneschal. Que la voiture soit devant la
maison quand je reviendrai.
Dehors, il trouva tout en rumeur. À chaque fenêtre, une tête s'allongeait,
curieuse ou terrifiée. De tous côtés, des portes brusquement refermées
claquaient.
Pourvu, mon Dieu! pensait-il, que je trouve Daubigeon chez lui.
Successivement procureur impérial, puis procureur de la République,
M. Daubigeon était un des grands amis de M. Séneschal. C'était un
homme d'une quarantaine d'années, au regard fin, au visage souriant,
qui s'était obstiné à rester célibataire et qui s'en vantait volontiers. On
ne lui trouvait à Sauveterre ni le caractère ni l'extérieur de sa sévère
profession. Certes, on l'estimait fort, mais on lui reprochait amèrement
sa philosophie optimiste, sa bonhomie souriante et surtout sa mollesse à
requérir, une mollesse qui,

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