La conquête dune cuisinière II | Page 9

Eugène Chavette
celle de tenir sous
sa coupe le petit homme pour lui faire adroitement avouer comment il
s'était échappé du logis du baron où il était sous clé et, surtout, pour
apprendre s'il avait trouvé cette lettre que lui, Gustave, avait volée dans
l'appartement de Walhofer et qu'il avait perdue dans sa fuite.
Donc, ayant repris sa marche avec Camuflet qu'il ramenait à son
domicile, Gustave s'était mis à l'oeuvre pour sonder adroitement son
homme.
A tout hasard, il avait entamé la conversation par cette phrase:
--N'étiez-vous pas, monsieur Camuflet, l'associé de ce Bazart dont le
nom a retenti, naguère, si tristement dans les journaux et dont on a
constaté le suicide, après qu'on avait cru à son assassinat?
--Effectivement, Bazart était mon associé... Un excellent homme, je
vous l'affirme.
--Euh! euh! excellent!... Pas pour sa femme, dans tous les cas, puisqu'il
l'avait tuée...
--Madame Bazart lui en avait fait voir de trop grises, il faut tout dire,
insinua Camuflet à la décharge de son associé.
--Ce crime serait resté bien longtemps inconnu sans la Compagnie
d'expropriation qui, en abattant la maison, à découvert la cachette où
était enfermé le cadavre. Dire que si l'immeuble, au lieu d'être démoli,
était passé aux mains d'un acquéreur, celui-ci aurait pu vivre et mourir
dans la maison sans avoir le soupçon de cette cachette!
--Il aurait eu cela de commun avec bien des propriétaires, avança
Camuflet.
Tout en parlant, Gustave cherchait le joint pour arriver à l'affaire de la
lettre. Il fit une pause qui permit à Camuflet de continuer.

--Oui, reprit-il, bien des propriétaires. Au moment de nos grands
travaux, si vous saviez combien souvent, à Bazart et à moi, en jetant à
bas des masures, il nous est arrivé de mettre à jour des cachettes
ignorées! Jadis, il y a cent ou deux cents ans, elles avaient été faites par
quelqu'un qui, emporté, probablement, par une mort subite, n'avait pas
eu le temps d'en révéler le secret, et elles étaient restées inconnues
jusqu'au jour où notre pioche les découvrait.
Et, s'arrêtant pour mieux affirmer son dire, Camuflet poursuivit:
--Tenez, moi, dans une maison, je connais une cachette dont bien des
propriétaires successifs ont ignoré l'existence.
--Pourquoi n'en avoir pas averti le propriétaire actuel? demanda
Gustave, toujours à la recherche de son entrée en matière sur la lettre.
--Je ne l'ai pas averti pour l'excellente raison que ce propriétaire, c'est
moi... Et je puis bien dire que c'est le pur hasard qui amené ma
découverte... Voulez-vous que je vous conte la chose?
--Je suis tout oreilles, dit Gustave avec l'espoir que le récit lui fournirait
l'occasion guettée d'amener la lettre dans le dialogue.
--Figurez-vous, commença Camuflet, que ma seconde femme avait
deux goûts qui faisaient mon malheur. Elle aimait la campagne et
adorait les chats... Moi, j'exècre cet animal et ne prise nullement les
plaisirs des champs... Mais, à elle, rien ne semblait préférable au chant
du rossignol, au coucher du soleil, au bord de l'eau, au murmure des
peupliers caressés par la brise, etc., etc., etc... Bref ma femme pour
avoir une maison de campagne, me fit une guerre qui aurait duré
longtemps si l'occasion de la satisfaire ne m'avait été forcément
imposée par la faillite d'un de mes débiteurs dont l'actif ne m'offrit
qu'une masure à la campagne... D'une mauvaise créance, vous le savez,
on tire ce qu'on peut... Voilà donc comment je devins propriétaire à
Billancourt.
--A la porte de Paris.

--Heureusement! appuya Camuflet. Cette proximité me permit de venir
à mes affaires et de laisser ma femme au chant du rossignol et au
frémissement des peupliers dans ce qu'elle appelait son oasis et que,
moi, je traitais d'ignoble baraque.
--C'était donc bien laid?
--Un trou à rhumatismes, car c'était au bord de l'eau; n'offrant aucune
sûreté, vu qu'on n'était séparé de la berge que par une haie qu'un
cul-de-jatte eût facilement franchie... Un jardin potager, brûlé du soleil,
sans un arbre. Quand on voulait dîner en plein air, pour avoir un peu
d'ombre, il fallait se mettre sous la table... Et, avec ça, une maison
rongée par l'humidité, délabrée, étroite, car elle n'avait que trois
fenêtres de façade, et rendue ridicule par une tourelle gothique qui
servait de pigeonnier. Ajoutez, au milieu du potager, un puits qui, faute
d'avoir été curé depuis soixante ans, ne fournissait que de la boue.
--Du moment que votre femme se plaisait en cette maison, c'était le
principal pour vous qui n'y veniez passer que de rares heures.
--Oui, mais ces rares heures étaient troublées par le chat, un vieil
animal puant, galeux, que ma femme adorait et qui me prenait pour son
oreiller. J'étais à peine assis que la sale bête sautait sur mes genoux.
Avec des frissons de dégoût dans le dos, j'étais obligé, en présence de
ma femme, de faire des mamours à
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 100
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.