un jour de pluie et l'amoureux Athanase, l'une et l'autre fois, avait été détourné de son droit chemin par une jolie jambe de femme à suivre.
A cette double distraction, il s'était donné pour excuse que cette poire de mariage à cueillir n'était pas encore tout à fait m?re. De plus, Gontran, un peu trop jeune pour le ménage, n'avait pas eu le temps, suivant son expression, de ?jeter ses gourmes?.
Mais, aujourd'hui, tout était à point. L'heure était venue. Aussi Fraimoulu s'était-il bien promis, tout aussit?t après avoir déjeuné avec son neveu, de se rendre d'une seule traite chez le papa de la demoiselle visée par lui, et, séance tenante, de lui bacler l'affaire.
Par malheur on l'a vu, Fraimoulu avait proposé, mais le mollet de Caroline Pistache, qui passait, avait disposé.
Nous suivrons donc Fraimoulu qui, pour oublier son neveu, n'avait pas cette fois à se donner l'excuse qu'il ambitionnait du fruit nouveau, car il avait été déjà le ?petit Tatase? de mademoiselle Pistache.
Arrivé à vingt mètres de celle qu'il poursuivait, il maintint cette distance, réglant son pas sur celui de la belle dont son regard admirait les rondeurs du bas de la jambe que les jupes retroussées mettaient à découvert.
--Elle demeure toujours rue Rougemont, pensa-t-il en voyant sa prochaine proie dépasser le faubourg Montmartre.
Il pressa le pas, et, déjà il avait raccourci la distance de moitié quand, soudain, il fit un brusque arrêt en murmurant, tout ébahi d'admiration:
--Sapristi! la magnifique créature!!! D'où diable Pistache la conna?t-elle?
En effet, mademoiselle Pistache avait suspendu sa marche, arrêtée au passage par une autre femme marchant à sa rencontre.
Quiconque aime les beautés plantureuses aurait partagé l'admiration de Fraimoulu pour celle qu'il traitait de créature magnifique. C'était une femme d'une trentaine d'années, aux robustes formes, aux traits réguliers, mais massifs, à l'opulente chevelure, tout éclatante de force et de santé... un Rubens! comme on dit.
Vêtue d'une robe de laine, bien ajustée sur ses formes rebondies et fermes, elle portait un tablier de soie noire et, sur ses cheveux un peu ébouriffés, s'étalait un bonnet de linge dont les rubans flottaient sur son dos. A son bras était passé un panier à carré long, muni d'un double couvercle.
C'était elle, à ce moment, qui parlait et ce qu'elle racontait devait être du dernier dr?le, car Pistache, en l'écoutant, pouffait de rire...
Cependant, Athanase, arrêté sur place et les yeux dardés étincelants sur la femme au panier, se disait en interrogeant sa mémoire:
--Mais je la connais, cette superbe brune. Je l'ai déjà vue... Oui, mais où ?a?... Je demanderai tout à l'heure à Pistache des renseignements qui m'éclaireront sur l'endroit où je me suis rencontré avec ce morceau de roi.
Et, tout curieux de savoir ce que le morceau de roi pouvait conter de si cocasse à Pistache, qui s'en tenait les c?tes, Athanase, tournant le dos aux deux femmes et feignant d'admirer les oeuvres en montre du fameux marchand de bronzes Barbedienne, s'approcha des causeuses à petits pas de c?té.
--Ah! quelle roublarde tu fais! bégayait Pistache, secouée par le rire. Alors tu lui as flanqué un béguin?
--De premier choix. A ce point qu'il s'est débarrassé de sa femme... Je le tiens sous le boisseau, mon cher bourgeois. Je ne lui laisse voir qu'une seule personne, son docteur.
--Mais si ce médecin allait se tourner contre toi?
--Pas moyen, ma chère.
--Pourquoi?
--Parce que le docteur en question est Gustave, que je lui ai fait prendre pour médecin.
--Et il en tient toujours pour toi, le beau Gustave?
--Un véritable enragé.
Sans doute que Pistache se crut suffisamment éclairée sur ce point, car elle aborda un autre sujet.
--Mais que devient la jeune fille dans tout ?a? Elle est d'age à être mariée?
--Aussi est-il question de lui chercher un mari. Au fond, je ne lui en veux pas, moi, à cette petite. Je pousse d'autant mieux à son mariage que ?a lui fera quitter la bo?te. Alors j'aurai l'autre bien entièrement sous la patte.
Puis, après un temps d'une seconde:
--Avant quatre ans, j'aurai des plumes dans mon édredon, je te le promets, ajouta la belle au panier.
--Il a donc un fort sac?
--Un sac monstre.
En plus que tout ce qui venait d'être dit entre les deux femmes demeurait inintelligible pour Fraimoulu aux écoutes, il lui était impossible, même avec la clef du mystère, d'y comprendre goutte, car, tout le temps, il avait été distrait par la question qui se dressait en son cerveau.
--Où donc ai-je déjà rencontré cette remarquable bacchante?
Et, avec l'espoir que sa mémoire s'éclaircirait par une nouvelle contemplation du visage de ladite bacchante, Athanase se retourna.
Alors Pistache le reconnut.
Sans doute que c'était conviction intime chez Pistache que l'agréable doit toujours céder le pas à l'utile. Si grand plaisir qu'elle trouvat aux confidences de son amie, elle rompit l'entretien par une courte phrase, à voix basse, qui, malgré son laconisme, devait désigner Fraimoulu, car la femme au panier, après un court
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