La confession dun abbé | Page 9

Louis Uhlbach

--Vous ne m'avez pas répondu, monsieur, reprit-il d'un ton presque
caressant. Je ne doute pas de votre parole, mais encore faut-il que je
sache...
--J'ai été le premier maître... plus que cela, le premier ami, de cette
jeune fille, répondit M. Herment avec une précipitation singulière, en
coupant la parole à M. Barbier.
--Son professeur? demanda le sous-secrétaire d'État, de plus en surpris.
--Oui, monsieur.
En disant cela, M. Herment rougissait.
--Est-ce M. le duc de Thorvilliers qui vous avait donné cette fonction
auprès de sa fille?
M. Barbier faisait cette question, faute d'en trouver une autre.
Ce singulier professeur confondait toutes ses idées.
Sa question cingla le coeur de M. Herment qui se souleva de son
fauteuil, en s'appuyant sur les bras, et, avec un étincellement des yeux,
presque farouche:
--Non, balbutia-t-il, ce n'est pas le duc qui m'avait chargé de ce devoir.
--Alors, veuillez m'expliquer...
M. Herment retomba dans son fauteuil, baissa la tête, et, la relevant
presque aussitôt, avec décision:

--Il faut bien que vous sachiez tout... je suis résolu à tout dire: je ne suis
pas seulement le premier maître de cette jeune fille... je suis son père.
La confidence devenait fort intéressante.
M. Barbier, accoudé sur son bureau, caressait lentement sa bouche de
son doigt, pour y attirer des paroles sages; il réfléchissait.
A ce moment, on frappa légèrement à la porte, et un huissier apporta
une lettre qu'il tendit silencieusement au sous-secrétaire d'État.
C'était le rapport attendu. Le préfet de police s'excusait d'être un peu en
retard; mais les renseignements avaient été difficiles à prendre, tant M.
Herment vivait entouré de précautions et enveloppé de silence.
On avait pu faire causer une femme qui s'occupait de son ménage, et
voici ce qu'on avait recueilli.
«Herment n'est pas son nom. Il cache son nom véritable. Il reçoit peu
de visites. Il sort souvent, surtout depuis un mois. Il lui est arrivé de
rentrer fort tard, et quelquefois de ne rentrer que le matin. Les voisines
prétendent qu'il assiste à des conciliabules légitimistes. Il occupe une
petite chambre, au troisième, dans une maison meublée. Quelques
bijoux de famille font supposer qu'il avait autrefois une grande fortune.
Il a sur un cachet et sur une bague des armoiries. La propriétaire est
persuadée que c'est un grand seigneur qui se cache. Sa femme de
ménage a découvert, pendant la visite qu'un chanoine de Notre-Dame a
rendu un jour au prétendu M. Herment, qu'il est un prêtre interdit; ce
qui alarme sa conscience de dévote... On le saura tantôt.»
M. Barbier laissa tomber le rapport devant lui.
Pendant qu'il lisait, M. Herment, les mains jointes et pressées sur sa
poitrine pour y faire rentrer le secret de tendresse qui s'en était échappé,
avait une attitude ecclésiastique, dans une sorte de contemplation
paternelle, qui achevait la révélation.
Le sous-secrétaire d'État sentait dans son front des piqûres d'aiguilles.

Le mystère devenait dramatique. S'il n'appréciait pas encore à toute sa
valeur le crime dénoncé, il entrevoyait dans le dénonciateur du crime,
lui-même, sinon un criminel, au sens juridique du mot, du moins un
grand coupable selon le morale. Le personnage, toujours mystérieux, ne
perdait pas de son intérêt pour cela.
Quel drame ou quel roman sous ces trois révélations? Un grand nom
caché, une grande fortune perdue, un prêtre qui était père, dans ce
pauvre homme logé en garni, aux Batignolles!
--Monsieur, dit brusquement M. Barbier, en posant devant lui la note de
la police, vous ne portez pas votre nom!
M. Herment s'éveilla en sursaut de son rêve, darda ses yeux qui se
reculèrent dans leurs orbites profondes, vit et devina sur le bureau le
papier de la police, que l'enveloppe, bâillant encore après l'effraction,
dénonçait.
Il eut un plissement du front; son sourire s'aiguisa. Il répondit avec une
intention de fierté:
--Il serait plus exact de dire que je ne porte pas mon nom tout entier et
que j'en ai traduit une partie en français.
--Vous êtes étranger?
--Non, monsieur, mon nom de famille est alsacien. Je suis le comte
Louis Hermann d'Altenbourg. J'ai bien le droit, sous la République, de
ne pas me targuer d'un titre, et depuis que mon pays est allemand, de
traduire Hermann par Herment... Est-ce là, monsieur, tout ce que la
police a découvert sur mon compte?
--Non.
--Ah!
M. Barbier hésita à continuer. Cette femme de ménage, après tout,
s'était peut-être trompée! Sans être ni dévot, ni catholique, ni peut-être

chrétien, le sous-secrétaire d'État au ministère de la justice l'était
également au ministère des cultes. Cela suffisait pour qu'il lui répugnât
de trouver un prêtre réfractaire et adultère dans cet homme si grave, si
digne, si émouvant.
Pendant sa courte hésitation, et tout en remuant le papier accusateur, M.
Barbier se souvint que M. Herment connaissait très bien le ministère et
ses êtres. Il y était venu
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