La confession dun abbé | Page 7

Louis Uhlbach

faut-il qu'ils soient d'une certaine catégorie sociale. Les gens du monde
sont difficiles à intimider, autrement que par la peur du scandale. Quant
aux gens du grand, grand monde, ils nous échappent avant le crime;
c'est bien assez de les attraper quelquefois après... Voilà, mon cher
collaborateur, ce que je mets à votre disposition... Comme il est
probable qu'il ne s'agit pas d'une affaire du grand monde, nous pourrons
toujours dire à Croquemitaine de faire du bruit dans la coulisse...
--Je vous remercie, dit M. Barbier. Ce n'est pas grand'chose que
Croquemitaine: il n'y a plus d'enfants!
--Plus d'enfants? Mais il n'y a que cela!
--Taisez-vous! Si le ministre vous entendait!
--Croit-il donc avoir affaire à des hommes?
--Chut! mauvaise langue.

--Mon cher, dans un gouvernement démocratique il faut toujours se
maintenir en verve d'ironie; on peut retourner si vite à l'opposition!...
Au revoir, à demain!
--A demain!

III
Le lendemain, M. Barbier arrivait au ministère de la justice avant dix
heures.
Il avait surpris le garçon en train d'épousseter d'un regard lent et habitué
les lettres éparses sur le bureau. Ce vieil employé fut tenté de croire à
un coup d'État: car depuis le 2 décembre 1851, jamais un ministre, ou
son clair de lune, n'avait lui de si bon matin.
M. Barbier lui-même fut très étonné, après coup, d'avoir été si matinal.
Il sourit en remarquant que la pendule officielle n'était pas plus en
avance que sa montre; c'était sa curiosité seule qui l'avait trompé.
Il s'occupa de quelques affaires; mais elles furent examinées en cinq
minutes et il eut le loisir d'un peu d'ennui.
A dix heures un quart, on venait le prévenir que M. Louis Herment était
là.
Avant de le faire introduire, le sous-secrétaire d'État s'assura qu'il n'était
venu, ni pour lui, ni adressé directement au ministre, aucun message de
la préfecture de police.
Le mystère n'était pas si facile à pénétrer! C'était une première manche
gagnée dans la partie engagée avec le préfet de police. Mais le
sous-secrétaire d'État fut moins frappé que dépité de ce succès négatif.
Il donna l'ordre de faire entrer M. Herment.
En le revoyant, au jour clair et matinal, M. Barbier le trouva moins
vieux que la veille, mais aussi imposant, aussi attirant.

Le visage, qui gardait la même pâleur, avait cependant une translucidité
plus facile. On sentait qu'un feu intérieur pouvait, au moindre souffle,
s'y répandre et le colorer. Les yeux brillaient d'une angoisse contenue et
aussi d'une espérance forcée. La bouche était comme préparée à
l'éloquence, tant elle s'ouvrit vite à un sourire de courtoisie, de
remerciement et de supplication, qui était charmant dans ce masque
sévère et qui, pourtant, n'avait rien de contraint.
--Décidément, c'est un ancien magistrat, pensa M. Barbier.
Il montra un fauteuil, placé près de son bureau qui lui permettait de
bien voir son visiteur, en ayant l'air de lui permettre seulement de le
bien écouter.
M. Herment, en s'asseyant, éloigna un peu le fauteuil. Il n'avait pas
l'habitude de parler de si près. Sa voix, son émotion, sa conviction
avaient assez de portée. Il plaça presque familièrement son chapeau sur
le bord du bureau plat, justifiant cette prise de possession par un
rouleau de papier qu'il déposa dans le chapeau; puis il remercia, en
quelques mots, polis sans obséquiosité, le haut fonctionnaire qui lui
avait réservé cette audience.
--On ne nous dérangera pas, dit obligeamment M. Barbier.
--Je vous ai prévenu, monsieur, reprit d'une voix grave M. Herment,
que j'avais à vous dénoncer un crime. Je ne crois pas qu'il puisse s'en
commettre un plus grand...
Il s'arrêta, respira; son inquiétude l'oppressait. Après deux secondes de
repos, il continua:
--Vous savez sans doute, monsieur, tous les journaux en parlent, qu'on
doit célébrer dans trois semaines, à l'église de la Madeleine, le mariage
de mademoiselle Marie-Louise de Thorvilliers avec le prince de
Lévigny.
M. Barbier ignorait absolument l'annonce de ce mariage. Ce n'était pas
sur les faits-divers de cette nature, qu'il recevait tous les jours, un

rapport du bureau chargé de lire, de contrôler et d'analyser les journaux;
mais il n'ignorait pas que le duc de Thorvilliers portait un des plus
grands noms du faubourg Saint-Germain, et que le prince de Lévigny
était, par sa fortune, par ses alliances, un des partis les plus
considérables du même quartier.
Le sous-secrétaire d'État fit un signe de tête, comme s'il était très
informé de cet événement mondain, et demanda avec un étonnement
légèrement ironique:
--C'est à propos de ce mariage que vous avez une communication à me
faire?
--Oui, monsieur.
--Je vous écoute.
--Ce mariage serait un crime. Il faut, à tout prix, l'empêcher.
M. Barbier eut un petit bondissement de surprise sur son siège.
--Un crime! Un si beau mariage! L'empêcher à tout prix, dites-vous? Je
ne comprends pas.
Il regardait M. Herment, repris du doute
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