La chasse galerie | Page 5

Honoré Beaugrand
gouvernes pas mieux que ?a!
Et Baptiste fit instinctivement tourner le canot vers la droite en mettant le cap sur la montagne de Montr��al que nous apercevions d��j�� dans le lointain. J'avoue que la peur commen?ait �� me tortiller, car si Baptiste continuait �� nous conduire de travers, nous ��tions flamb��s comme des gorets qu'on grille apr��s la boucherie. Et je vous assure que la d��gringolade ne se fit pas attendre, car au moment o�� nous passions au-dessus de Montr��al, Baptiste nous fit prendre une sheer et, avant d'avoir eu le temps de m'y pr��parer, le canot s'enfon?ait dans un banc de neige, dans une ��claircie, sur le flanc de la montagne. Heureusement que c'��tait dans la neige molle, que personne n'attrapa de mal et que le canot ne fut pas bris��. Mais �� peine ��tions-nous sortis de la neige que voil�� Baptiste qui commence �� sacrer comme un poss��d�� et qui d��clare qu'avant de repartir pour la Gatineau il veut descendre en ville prendre un verre. J'essayai de raisonner avec lui, mais allez donc faire entendre raison �� un ivrogne qui veut se mouiller la luette. Alors, rendu �� bout de patience, et plut?t que de laisser nos ames au diable qui se l��chait d��j�� les babines en nous voyant dans l'embarras, je dis un mot �� mes autres compagnons qui avaient aussi peur que moi, et nous nous jetons tous sur Baptiste que nous terrassons, sans lui faire de mal, et que nous pla?ons ensuite au fond du canot,--apr��s l'avoir ligot�� comme un bout de saucisse et lui avoir mis un baillon pour l'emp��cher de prononcer des paroles dangereuses, lorsque nous serions en l'air. Et:
Acabris! Acabras! Acabram!
nous voil�� repartis sur un train de tous les diables, car nous n'avions plus qu'une heure pour nous rendre au chantier de la Gatineau. C'est moi qui gouvernais, cette fois-l��, et je vous assure que j'avais l'oeil ouvert et le bras solide. Nous remontames la rivi��re Outaouais comme une poussi��re jusqu'�� la Pointe �� Gatineau et de l�� nous piquames au nord vers le chantier. Nous n'en ��tions plus qu'�� quelques lieues, quand voil��-t-il pas cet animal de Baptiste qui se d��tortille de la corde avec laquelle nous l'avions ficel��, qui s'arrache son baillon et qui se l��ve tout droit, dans le canot, en lachant un sacre qui me fit fr��mir jusque dans la pointe des cheveux. Impossible de lutter contre lui dans le canot sans courir le risque de tomber d'une hauteur de deux ou trois cents pieds, et l'animal gesticulait comme Lin perdu en nous mena?ant tous de son aviron qu'il avait saisi et qu'il faisait tournoyer sur nos t��tes, en faisant le moulinet comme un Irlandais avec son shilelagh. La position ��tait terrible, comme vous le comprenez bien. Heureusement que nous arrivions, mais j'��tais tellement excit��, que par une fausse manoeuvre que je fis pour ��viter l'aviron de Baptiste, le canot heurta la t��te d'un gros pin et que nous voil�� tous pr��cipit��s en bas, d��gringolant de branche en branche comme des perdrix que l'on tue dans les ��pinettes. Je ne sais pas combien je mis de temps �� descendre jusqu'en bas car je perdis connaissance avant d'arriver, et mon dernier souvenir ��tait comme celui d'un homme qui r��ve qu'il tombe dans un puits qui n'a pas de fond.
VII
Vers les huit heures du matin, je m'��veillai dans mon lit dans la cabane, o�� nous avaient transport��s des b?cherons qui nous avaient trouv��s sans connaissance, enfonc��s jusqu'au cou dans un banc de neige du voisinage. Heureusement que personne ne s'��tait cass�� les reins mais je n'ai pas besoin de vous dire que j'avais les c?tes sur le long comme un homme qui a couch�� sur les ravalements pendant toute une semaine, sans parler d'un blackeye et de deux ou trois d��chirures sur les mains et dans la figure. Enfin, le principal, c'est que le diable ne nous avait pas tous emport��s et je n'ai pas besoin de vous dire que je ne m'empressai pas de d��mentir ceux qui pr��tendirent qu'ils m'avaient trouv��, avec Baptiste et les six autres, tous saouls comme des grives, et en train de cuver notre jama?que dans un banc de neige des environs. C'��tait d��j�� pas si beau d'avoir risqu�� de vendre son ame au diable, pour s'en vanter parmi les camarades; et ce n'est que bien des ann��es plus tard que je racontai l'histoire telle qu'elle m'��tait arriv��e.
Tout ce que je puis vous dire, mes amis, c'est que ce n'est pas si dr?le qu'on le pense que d'aller voir sa blonde en canot d'��corce, en plein coeur d'hiver, en courant la chasse-galerie; surtout si vous avez un maudit ivrogne qui se m��le de gouverner. Si vous m'en croyez, vous attendrez �� l'��t�� prochain pour aller embrasser vos p'tits coeurs, sans courir le risque de voyager aux
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 25
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.