?a. Si la chose s'était passée l'automne dernier, je croirais que ce sont les membres du Club de pêche de Phaneuf et de Joe Riendeau de Montréal que vous avez aper?us sur l'?le de Grace en train de courir la galipette. Vous avez dit vous-même que tous les rouges étaient des coureux de loup-garou et vous savez bien, M. Brindamour, qu'il n'y a pas de bleus dans ce club-là!
--Ah! vous vous moquez de mon histoire sans doute que c'était en temps d'élection et que j'avais pris un coup de trop du whisky du candidat de ce temps-là. Eh bien! arrêtez un peu, je n'ai pas fini et j'en ai une autre que mon défunt père m'a racontée, ce soir-là, en montant à Montréal à bord de son bateau. C'est une histoire qui lui est arrivée à lui-même et je vous avertis d'avance que je me facherai un peu sérieusement si vous faites seulement semblant d'en douter.
Mon défunt père, dans son jeune temps, faisait la chasse avec les sauvages de Saint-Fran?ois dans le haut du Saint-Maurice et dans le pays de la Matawan. C'était un luron qui n'avait pas froid aux yeux et, entre nous, j'peux bien vous dire qu'il n'ha?ssait pas les sauvagesses. Le curé de la mission des Abénakis l'avait averti deux ou trois fois de bien prendre garde à lui, car les sauvages pourraient lui faire un mauvais parti, s'ils l'attrapaient à r?der autour de leurs cabanes. Mais les coureurs des bois de ce temps-là ne craignaient pas grand-chose et, ma foi, vous autres, les godelureaux de Montréal, vous savez bien qu'il faut que jeunesse se passe. Mon défunt père était donc parti pour aller faire la chasse au castor, au rat musqué et au carcajou dans le haut du Saint-Maurice. Une fois rendu là, il avait campé avec les Abénakis, et sa cabane de sapinages était à peine couverte de neige qu'il avait déjà jeté l'oeil sur une belle sauvagesse qui avait suivi son père à la chasse. C'était une belle fille, une belle! mais elle passait pour être sorcière dans la tribu et elle se faisait craindre de tous les chasseurs qui n'osaient l'approcher. Mon défunt père qui était un brave se piqua au jeu et, comme il parlait couramment sauvage, il commen?a à conter fleurette à la sauvagesse. Le père de la belle faisait des absences de deux ou trois jours pour aller tendre ses pièges et ses attrapes, et pendant ce temps-là, les choses allaient rondement. Il faut vous dire que la sauvagesse était une v'limeuse de payenne qui n'allait jamais à l'église de Saint-Fran?ois et on prétendait même qu'elle n'avait jamais été baptisée. Pas besoin de vous dire tout au long comment les choses se passèrent, mais mon défunt père finit par obtenir un rendez-vous, à quelques arpents du camp, sur le coup de minuit d'un dimanche au soir.
Il trouva bien l'heure un peu singulière et le jour un peu suspect, mais quand on est amoureux on passe par-dessus bien des choses. Il se rendit donc à l'endroit désigné avant l'heure et il fumait tranquillement sa pipe pour prendre patience, lorsqu'il entendit du bruit dans la fardoche. Il s'imagina que c'était sa sauvagesse qui s'approchait, mais il changea bient?t d'idée en apercevant deux yeux qui brillaient comme des fifollets et qui le fixaient d'une manière étrange. Il crut d'abord que c'était un chat sauvage ou un carcajou, et il eut juste le temps d'épauler son fusil qu'il ne quittait jamais et d'envoyer une balle entre les deux yeux de l'animal qui s'avan?ait en rampant dans la neige et sous les broussailles. Mais il avait manqué son coup et, avant qu'il eut le temps de se garer, la bête était sur lui, dressée sur ses pattes de derrière et tachant de 'lentourer avec ses pattes de devant. C'était un loup, mais un loup immense, comme mon défunt père n'en avait jamais vu. Il sortit son couteau de chasse et l'idée lui vint qu'il avait affaire à un loup-garou. Il savait que la seule manière de se débarrasser de ces maudites bêtes-là, c'était de leur tirer du sang en leur faisant une blessure, dans le front, en forme de croix. C'est ce qu'il tenta de faire, mais le loup-garou se défendait comme un damné qu'il était, et mon défunt père essaya vainement de lui plonger son couteau dans le corps, puisqu'il ne pouvait pas parvenir à le délivrer. Mais la pointe du couteau pliait chaque fois comme s'il eut frappé dans un c?té de cuir à semelle. La lutte se prolongeait et devenait terrible et dangereuse. Le loup-garou déchirait les flancs de mon défunt père avec ses longues griffes lorsque celui-ci, d'un coup de son couteau qui coupait comme un rasoir, réussit à lui enlever une patte de devant. La bête poussa un hurlement qui
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