La carrosse aux deux lézards verts | Page 9

René Boylesve
de toute nouveauté. Le père toucha du doigt le flanc des murailles et voulut que sa femme f?t comme lui. A ce moment on entendit un chien aboyer derrière les grilles, et un autre chien répondit du pavillon voisin. On distinguait, entre les volets rabattus, sur la cour, à plusieurs fenêtres, une raie lumineuse.
Entre les barreaux de la grille, une grosse balle d'étoupe, à la fois pesante et molle, se détacha et tomba aux pieds de la famille:
--Mais, c'est Minou! Regarde, maman, c'est Minou!...
C'était le chat de la maison, qui ondulait de la tête au bout de la queue, et offrait son échine aux caresses.
Et dire qu'on se demandait où le vaurien passait la nuit!

III
LES PAVILLONS, LES PERROQUETS ET LES DEUX DAMES
Et l'on se porta vers l'autre pavillon, fermé également par une grille. Minou suivit: il connaissait tous les lieux. Dans la cour, le chien aboyait toujours, et l'on voyait à deux fenêtres, entre les lamelles des persiennes, de petites barres horizontales et lumineuses.
La nuit était complète à présent et la lune commen?ait à donner sur la clairière. A sa lueur, qui jouait sur les toitures, on distinguait une herbe fine entre les pavés de la cour.
--Ce n'est pas loin, dit Gilles: mes enfants, demain, vous viendrez là et vous apprendrez à lire et à écrire!
Les petites ne se tenaient pas de joie. Leur mère demeurait pétrifiée.
Le père, lui, faisait le malin, et, sur le chemin du retour, il dit:
--Que serait-ce si je vous parlais du carrosse et des lézards verts!...
--Tais-toi, lui dit sa femme; j'en ai assez, et attendons le grand jour.
Elle pensait encore, en son for intérieur, que tout cela était songe et fantasmagorie et que la forêt se retrouverait au matin dans l'état où on l'avait toujours vue.
Cependant, elle dormit mal ou ne dormit point, et elle fut debout de bonne heure. Elle sortit aussit?t: les deux pavillons étaient là, sous la saine lumière du jour comme sous la lueur de la lune propice aux enchantements.
Quant à y envoyer ses deux fillettes, ah! non.
Alors le père annon?a qu'il les y conduirait lui-même, que d'abord c'était chose convenue avec ?ces dames?, et secondement qu'il ne se souciait pas de revoir venir au-devant des petites le carrosse avec ses lézards.
--J'ai eu moins de terreur, dit là-dessus la mère Gilles, en entendant autrefois un père capucin décrire les cavernes de l'Enfer, qu'en voyant, de mes yeux, s'accomplir de petites choses quasi comiques, mais qui confondent l'entendement...
Le lendemain était un dimanche. On habitait ici trop loin de tout pour songer à aller à la messe, aussi n'y assistait-on que le jour de Paques. Dès le matin, quoiqu'il n'imaginat point de le?on qui f?t possible un tel jour, le père Gilles estima que les convenances exigeaient des petites une visite à leurs ma?tresses.
On vêtit les bessonnes de leurs plus beaux atours, et on les regarda s'éloigner, unies par la main, vers les grilles que l'on avait touchées la veille au soir et d'où était tombé Minou. Il fallait la présence de Minou là-bas, où le chat semblait comme chez lui,--voire mieux, puisqu'il y restait,--pour rassurer la mère qui, par ailleurs, croyait envoyer ses filles au sacrifice.
Les bessonnes revinrent presque aussit?t et elles dirent qu'à l'un comme à l'autre pavillon elles avaient été accueillies par un domestique en livrée, et galonné, qui leur avait appris très poliment que ces dames étaient pour l'heure à la ville, mais ne tarderaient pas à rentrer. Les petites avaient vu Minou dans la cour, en train de se pourlécher les babines auprès d'un bol de lait.
--Comment ces dames sont-elles dès le matin à la ville et vont-elles rentrer tout à l'heure? se demanda la b?cheronne.
Sur quoi son mari souriait dans sa barbe.
Il ne quitta pas des yeux les deux grilles, étant de loisir ce jour-là. Vit-il quelque chose? ne vit-il rien? Une heure après, toutefois, il commanda aux petites de retourner là-bas.
Et, cette fois-ci, les petites ne reparurent qu'après une heure écoulée. Elles étaient entières; elles étaient fra?ches et de bonne humeur. Et, de plus, elles étaient frisées.
La mère leva les deux bras au ciel. Elle n'avait jamais jugé ses deux filles aussi jolies. Elle avait eu aussi, secrètement, grand émoi.
Mais il s'agissait bien de cela, à présent!
Il s'agissait de faire taire les bessonnes qui ne tarissaient pas, ou bien d'en faire au moins taire une, afin qu'on p?t entendre l'autre.
L'une disait que d'abord elle avait vu un perroquet. L'autre en même temps disait qu'on lui avait fait prendre un bain.
--Un bain?
--A moi aussi, s'écriait l'autre. D'abord, moi aussi j'ai vu un perroquet.
--Tais-toi, faisait le père. Laisse parler Gillette!
Et Gillette disait:
--J'ai vu un perroquet... un beau perroquet vert qui faisait comme ?a: ?Bonjour! bonjour! ah quel beau temps! mais qu'il fait donc beau!...?
--Mais non! interrompait Gillonne, ce n'est pas ?a qu'il disait; il disait: ?Voilà qu'il pleut...
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