La capitaine | Page 9

Émile Chevalier
t'entends, ma ch��re soeur.
--Et tu ne sentais pas?
--Non, rien!
--Se peut-il?
--Quand, en sanglotant, ma m��re et toi, vous avez dit que vous vouliez m'embrasser une derni��re fois, je vous ai entendues: j'aurais voulu crier, faire un mouvement, briser ces cha?nes de plomb qui me tenaient immobile; j'aurais voulu vous dire: mais je ne suis pas mort! Je vis, consolez-vous, s��chez vos larmes! Je suppliais Dieu de me rendre les sens pour une minute, pour une seconde; je le conjurais de faire glisser un souffle, un seul sur mes l��vres, d'animer mon coeur d'un battement, mon sang d'une pulsation; mais je ne distinguais rien, ne recevais d'impression que par l'ou?e: un corps inerte, de glace, accessible seulement au son, emprisonnait mon esprit.
--Oh! c'est affreux!... affreux!...
--Oui, bien affreux! continua le jeune homme. Il ne peut y avoir de supplice comparable; car cet esprit, il avait toute sa lucidit��. Je crois m��me que sa sensibilit�� avait d��cupl�� pour la perception l'analyse et la souffrance de douleurs qu'�� l'��tat normal un homme ne saurait supporter.
--Oh! tais-toi! tais-toi! tais-toi, Bertrand! dit Emmeline en cachant son visage dans ses mains.
Mais le fr��re aimait �� parler de lui. C'��tait son d��faut. Il continua, en s'animant:
--Et quand les chirurgiens eurent d��pos�� que j'��tais mort, quand vinrent les ensevelisseuses, quand j'assistai �� leur conversation lugubre, quand sur ma t��te retentit le marteau qui clouait mon cercueil! puis les chants fun��bres, le Requiem: cette voix solennelle du pr��tre, ces r��pons nasillards et comme ironiques des chantres et des enfants de choeur, et les g��missements des assistants sur ma fosse, et le cri d��chirant de notre p��re,--lorsqu'on l'entra?na loin du lieu o�� je devais expirer, en toute connaissance de moi-m��me et sans pouvoir protester contre l'ignorance implacable qui me condamnait,--et la premi��re pellet��e de terre qui m'annon?a que c'en ��tait fait, que tout ��tait fini, irr��vocablement, entre ce monde et moi...
--Quelle destin��e! quelle destin��e! balbutia Emmeline fr��missante.
--Jusque-l��, poursuivit Bertrand, j'avais nourri quelque espoir. Je me disais que le bon Dieu serait mis��ricordieux, qu'il se laisserait fl��chir �� mes ardentes pri��res, que chauff��e par les br?lants d��sirs de mon esprit, ma chair s'amollirait, qu'elle reprendrait son impressionnabilit��; mais quand sur mon cercueil tomb��rent ces cailloux avec un bruit s��pulcral, on! je n'eus plus que blasph��me, rage et d��sespoir dans tout ce qui agissait encore en moi! Je ne con?ois point que les derniers ressorts de l'existence ne se brisent pas en mille et mille pi��ces dans un pareil instant, ne durat-il qu'une tierce.
--Tu perdis alors le sentiment?
--Oui, tout �� fait, et fort heureusement...
--Pauvre bon fr��re!
--Je serais devenu fou! Que dis-je? sais-je ce que je serais devenu? Fou! ne l'��tais-je pas d��j��?
--Mais ton retour?
--Ah! ce fut comme un r��veil apr��s un long et terrible cauchemar.
--Je le crois bien!
--J'��tais accabl�� de fatigue, courbatur�� dans tous mes membres. Des images flottaient confuses devant mon cerveau. Je voulus me remuer, mes mains rencontr��rent un corps dur; j'en eus peur, une peur atroce, et restai quelques moments immobile. J'avais oubli�� le pass��; je me demandai, chose inou?e! si l'on ne m'avait pas enterr�� vif. Est-ce que je r��ve, ou suis-je ��veill��, me disais-je? Cependant ma respiration ��tait p��nible. J'avais sur la poitrine un poids qui l'��touffait, mes oreilles bourdonnaient comme si elles avaient renferm�� des essaims de frelons...
--Que tout cela est ��trange!
--Ah! bien ��trange, petite soeur!
--Mais l'air te manquait?
--Quand j'aspirais, c'��tait comme si j'avais eu la bouche pr��s d'une fournaise.
--Il y avait de quoi mourir cette fois pour tout de bon, fit Emmeline, en lui prenant la main et la serrant doucement dans les siennes.
--Je pensais m'��vanouir et retombais dans une indicible torpeur, que ne pouvaient dissiper des sons aigus au-dessus de moi, lorsqu'un courant frais vint caresser mon visage.
--Ah! c'��tait le secours...
--Ce que c'��tait, pour moi, ch��re Emmeline, c'��tait la plus agr��able, sensation que j'eusse ��prouv��e jamais; je renaquis; la circulation de mon sang se r��tablit. Je fus inond�� d'un bien inexprimable, dont je jouissais voluptueusement sans vouloir me bouger, sans en avoir m��me l'id��e, tant j'��tais heureux, tant je me complaisais au sein de ces d��lices nouvelles.
--��go?ste! dit la jeune fille en souriant.
--Une brusque secousse, accompagn��e de tortures dans tout le corps, comme si on me l'e?t broy�� �� coups de massue, m'arracha �� ce paradis.
--C'��tait les r��surrectionnistes qui t'enlevaient.
--Alors je ne songeais qu'�� mon martyre. Mon cerveau ��tait toujours en feu, un v��ritable chaos incandescent. Mes yeux demeuraient ferm��s. Un froid glacial m'enveloppa subitement. Je discernai des voix humaines autour de moi. Une force ind��pendante de ma volont�� m'obligea �� me lever. Je m'en souviens parfaitement, je fis quelques pas. Le vertige me prit...
--Grace �� Dieu, il y avait l�� quelqu'un pour te venir en aide, mon Bertrand; car ces poltrons d'��tudiants s'��taient sauv��s �� qui plus vite, en te voyant ressusciter!
--Ah! ne te moque pas d'eux, Emmeline. Je leur dois une reconnaissance ��ternelle.
--C'est-��-dire, fit
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