La belle Gabrielle, vol. 1 | Page 9

Auguste Maquet
je suis patient, mais jusqu'à un certain terme.
--Oh! vous me menacez, dit la Ramée avec son sinistre sourire; eh bien, à la bonne heure! voila qui achève l'oeuvre, menacer le plaignant! Vive la trêve et la parole du roi!
--Monsieur, répliqua précipitamment Rosny mordant sa barbe, vous abusez de vos avantages; je vois bien à qui j'ai affaire. Si vous étiez un serviteur du roi, vous n'auriez ni cette aigreur ni cette soif de vengeance. Vous êtes quelque ligueur, quelque ami des Espagnols....
--Quand cela serait, dit la Ramée, vous ne me devriez que plus de protection, puisqu'il y a huit jours vos ennemis pouvaient se défendre avec des armes, et qu'aujourd'hui ils n'ont que votre parole et votre signature.
--Vous avez raison; vous serez protégé. Tout à l'heure vous parliez de reconna?tre les coupables, voilà tous les gardes, faites votre ronde, essayez.
--On aurait pu m'épargner cette peine, murmura méchamment ce plaignant farouche; des gens d'honneur se dénonceraient.
--Vous ne vous attendez pas à ce qu'ils le fassent, je suppose, dit Rosny. Puisque vous invoquez la trêve, vous en connaissez les articles, et la peine qu'ils portent contre l'espèce de violence dont vous vous plaignez est de nature à conseiller le silence à ceux que leur conscience pousserait à parler.
--Je connais en effet cette peine, monsieur, s'écria le jeune homme, et j'en attends la stricte application.
--Quand vous aurez reconnu les coupables et qu'ils seront convaincus.
--Soit! cela ne sera pas long.
En disant ces mots avec une joie qui rayonnait sur son pale visage, la Ramée attacha ses regards sur le cercle des gardes, qui, machinalement, comme s'ils se fussent sentis br?lés, reculèrent et se formèrent en lignes irrégulières, au milieu desquelles le vindicatif ligueur commen?a de marcher lentement comme s'il passait une revue.
Rosny, agité de mille idées contraires, luttait contre sa fierté qui se révoltait, et contre un sentiment d'équité naturelle, que venait encore fortifier le principe de la discipline et du droit des gens.
Il finit par s'appuyer sur le capitaine, dont l'exaspération était au comble, et lui dit:
--Mauvaise affaire! et je suis seul ici ... Que n'avons nous ici M. de Crillon, car enfin, c'est lui qui est responsable des gardes.
--Si on me laissait faire, répliqua le capitaine, les dents serrées, j'aurais bient?t arrangé l'affaire.
--Silence, monsieur, répondit le huguenot que cette imprudente parole de l'officier acheva de faire pencher en faveur du droit commun. Silence! et qu'il ne vous arrive plus de traiter avec cette légèreté les conventions et actes signés du roi: où sera l'avenir de notre cause, monsieur, si, accusés d'agir de rapine et de violence, nous donnons raison aux plaignants en réparant par l'assassinat le vol de nos gens de guerre?
--Mais, balbutia l'officier, ce la Ramée est un petit scélérat, une vipère.
--Je le sais parbleu bien. Toutefois, il a été violenté, incendié. Justice lui sera faite. J'ai essayé de reculer le chatiment ou de le rendre impossible en for?ant ce jeune homme à reconna?tre lui-même les coupables. Je laissais à ceux-ci cette porte de salut. Mais en vérité, je crois que la voilà fermée; car le dr?le s'arrête et fixe sur ce petit groupe des regards trop joyeux pour que bient?t nous ne soyons pas réduits à prononcer une sentence. Allons, venez, faisons notre devoir.
Pendant toute cette scène, Espérance avait écouté avec avidité de sa place et s'était imprégné des émotions les plus poignantes. Mais quand il eut entendu le colloque de Rosny et de l'officier, il fut saisi d'une immense pitié pour ces pauvres gardes qu'il avait vus partir si joyeux l'instant d'avant, et fut pris également d'une indicible colère contre le plaignant, dont l'air, l'accent, toute la personne, en un mot, le révoltaient malgré la justesse de ses plaintes.
Espérance s'approcha de Fouquet la Varenne, qui considérait la scène sto?quement, en bourgeois que les soldats intéressent peu.
--Monsieur, dit-il, pardon: que porte ce fameux article de la trêve au sujet des violences qui seraient commises par les gens de guerre?
--Eh! eh!... jeune homme, répliqua le petit porte-poulets, c'est la mort.

III
COMMENT LA RAMéE FIT CONNAISSANCE AVEC ESPéRANCE.
La Ramée avait déjà inspecté une bonne partie des gardes sans rien signaler, lorsqu'il s'arrêta tout à coup, comme Rosny venait de le dire au capitaine.
Il s'approcha du garde suspect, observa un moment, et se redressant vers Rosny, s'écria:
--En voici un!
C'était Vernetel qu'il désignait ainsi, en le touchant du doigt à la poitrine.
Presque au même instant il étendit son bras vers Castillon, en disant:
--Voici le deuxième!
Les deux inculpés se récrièrent; une menace sourde grondait dans tous les rangs.
--A quoi reconnaissez-vous ces messieurs, que vous dites n'avoir vus que par derrière? demanda simplement Rosny.
La Ramée, sans répondre, montra sur le buffle de Vernetel une gouttelette de sang à peine visible, à laquelle adhéraient quelques poils d'un gris fauve.
Quant à Castillon, il avait sur l'épaule droite une faible trace de ce sable humide des celliers sur lequel reposent
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 118
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.