La belle Gabrielle, vol. 1 | Page 8

Auguste Maquet
gardes de Sa Majesté?
--Les chefs! cria encore le jeune homme d'une voix sinistre.
--J'en suis un! dit l'enseigne.
--Vous n'êtes pas celui qu'il me faut, répliqua l'autre avec une sorte de dédain sauvage.
Et comme une exclamation générale couvrait ses paroles, comme, excepté Pontis et ses convives, chacun mena?ait l'insulteur.
--Oh! vous ne me ferez pas peur, dit-il d'un accent de rage concentrée, je cherche un chef, un grand, un puissant, qui ait le pouvoir de punir.
Rosny et le capitaine s'étaient approchés lentement pour savoir la cause de ce tumulte.
Le jeune homme les aper?ut.
--Voilà ce qu'il me faut, murmura-t-il avec un fauve sourire.
--Qu'y a-t-il? demanda Rosny, devant qui s'ouvrirent les rangs.
Et il attacha son regard pénétrant sur ce visage décomposé par toutes les mauvaises passions de l'humanité.
--Il y a, monsieur, répondit le jeune homme, que je viens ici demander vengeance.
--Commencez par jeter votre couteau! dit Rosny. Allons, jetez-le!
Deux gardes saisissant brusquement les poignets de cet homme, le désarmèrent. Il ne sourcilla point.
--Vengeance pour qui? continua Rosny.
--Pour moi et les miens.
--Qui êtes-vous?
--Je m'appelle la Ramée, gentilhomme.
--Contre qui demandez-vous cette vengeance?
--Contre vos soldats.
--Je n'ai point ici de soldats, dit M. de Rosny, blessé du ton hautain d'un pareil personnage.
--Alors, ce n'est point à vous que j'ai affaire. Indiquez-moi le chef de ceux-ci.
Il désignait les gardes frémissant de colère.
--Monsieur de la Ramée, reprit froidement Rosny, vous parlez trop haut, et si vous êtes gentilhomme, comme vous dites, vous êtes un gentilhomme mal élevé; ceux-ci sont des gens qui vous valent, et que je vous engage à traiter plus courtoisement. Je vous eusse déjà laissé vous en expliquer avec eux, si vous ne paraissiez venir ici pour faire des réclamations. Or, en l'absence de M. de Crillon, j'y commande, ici, et je suis disposé à vous faire justice malgré vos fa?ons. Ainsi, du calme, de la politesse, de la clarté dans vos récits, et abrégeons!
Le jeune homme mordit ses lèvres, fron?a les sourcils, crispa les poings, mais subjugué par le sang-froid et la vigueur de Rosny, dont pas un muscle n'avait tressailli, dont le coup d'oeil incisif l'avait blessé comme une pointe d'épée, il respira, recueillit ses idées et dit:
--A la bonne heure! J'habite avec ma famille le chateau que vous apercevez au bas de la colline, dans ces arbres à droite. Mon père est au lit, blessé.
--Blessé? interrompit Rosny. Est-ce un soldat du roi?
Le jeune homme rougit à cette question.
--Non, dit-il d'un air embarrassé.
--Ligueur, va! murmurèrent les gardes.
--Continuez, interrompit Rosny.
--J'étais donc près du lit de mon père avec mes soeurs, quand un bruit de lutte nous vint troubler. Des étrangers étaient entrés de force dans la maison, avaient frappé et blessé mes gens, et pillé de vive force.
--Silence! dit Rosny à des voix qui réclamaient autour de lui.
--Ces étrangers, poursuivit la Ramée, non contents de leurs violences, ont pris des tisons au foyer, ils les ont lancés sur la grange, qui br?le en ce moment, regardez!
En effet, tous se retournant, virent s'élever des tourbillons de fumée blanche qui s'élan?aient en larges et ondoyantes spirales par-dessus les arbres du parc.
Pontis et ses compagnons palirent. Un silence effrayant s'étendit sur l'assemblée.
--En effet, dit M. de Rosny avec une émotion qu'il ne put ma?triser, voici un incendie ... il faudrait s'y transporter.
--Quand on arrivera, tout sera fini; la paille br?le vite. Tenez, voici déjà les toits qui flambent.
Le jeune homme, après ces paroles, s'arrêta satisfait de l'effet qu'elles avaient produit.
--Et, demanda Rosny, votre famille vous envoie ici pour obtenir justice?
--Oui, monsieur.
--Les coupables sont donc ici?
--Ce sont des gardes.
--Du roi?...
--Des gardes, répondit la Ramée avec une si visible répugnance à prononcer ce mot: le roi, que Rosny s'en trouva blessé.
--Une seule personne qui affirme, monsieur la Ramée, ne saurait être crue, répliqua-t-il, fournissez des témoins.
--Qu'on vienne à la maison, pas vos soldats, ils achèveraient de tout br?ler et massacrer, mais un chef ... et les blessés parleront, les murailles fumantes dénonceront.
Comme un murmure d'indignation s'élevait contre l'audacieux qui maltraitait ainsi tout le corps des gardes, Rosny révolté dit au jeune homme:
--Vous entendez, monsieur, ce qu'on pense de vos injures? On voit bien que vous nous savez en pleine trêve, et que la parole sacrée du roi de France vous garantit.
--Elle m'a étrangement garanti tout à l'heure! s'écria la Ramée avec une ironie amère. Oh! non, ce n'est pas pour qu'elle me garantisse que je viens invoquer la trêve, c'est pour qu'elle me venge. J'offre toutes les preuves, j'ai entendu le rapport de mes domestiques, j'ai vu moi-même s'enfuir les larrons, et, au besoin, je les reconna?trais ... Mais puisque vous êtes monsieur de Rosny, puisque vous mettez en avant la parole de votre roi, il faut que je sache bien si on me rendra justice, sinon j'irai droit à votre ma?tre, et....
--Assez, assez, dit Rosny, qui sentait la colère bouillonner en lui, pas tant de phrases ni de coups d'oeil furibonds,
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