pas une grande place
dans le monde de Florence. il n'est fait mention de lui que dans le
commentaire de Boccace, à propos de l'invitation qui lui fut adressée
par le Signor Folco Portinari, et à laquelle il amena son fils Dante,
encore enfant.[7]
Dante avait perdu sa mère (Bella) de bonne heure, et son père s'était
remarié. Mous ne savons pas la part que sa belle-mère (matrigna) a pu
prendre aux premières années de sa vie, et à son éducation. Quoi qu'il
en soit, celle-ci paraît avoir été très soignée, et l'on ne peut s'empêcher
de remarquer que tout, dans ses habitudes d'extrême politesse, dans la
délicatesse et le raffinement de son langage, semblerait porter
l'empreinte d'une éducation féminine.
Boccace affirme qu'il montra une aptitude précoce aux études
théologiques et philosophiques. C'était là du reste le champ où
s'exerçait à peu près exclusivement la scolastique d'alors. Dante nous
apprend lui-même[8] que ce ne fut qu'après la mort de Béatrice, par
conséquent entre vingt-cinq et trente ans, qu'il se mit à suivre les écoles
des religieux et des philosophes, s'en étant sans doute tenu jusque-là à
des études élémentaires, et que, «grâce à ce qu'il savait de grammaire et
à sa propre intelligence, il se mit en état au bout de trente mois d'étude
de venir chercher des consolations dans les écrits de Boece et de
Tullius» (c'est ainsi qu'il appelle toujours Cicéron). Il ne paraît guère
avoir su le grec, qui du reste n'était encore que peu répandu à cette
époque. Mais il acquit de bonne heure des notions de tout. Il était
familier avec la cosmographie et avec l'astrologie (astronomie) de ce
temps-là.
Il avait beaucoup de goût pour les arts, la musique surtout, et il avait
étudié le dessin auprès de son ami Giotto et de Cimabue. Quant à la
poésie,bien «qu'il se fût de bonne heure exercé à rimer», c'est à son
amour pour Béatrice, morte en 1290, qu'il rapporte lui-même le
développement de ses instincts poétiques.
On paraît assez incertain au sujet de la part qu'a pu prendre à son
éducation Brunetto Latini, dont il parle dans la Comédie avec des
expressions d'une reconnaissance attendrie.[9]
Brunetto Latini était né à Florence en 1210; il y est mort en 1284. Il
était en 1263 à Paris, et il a fait un long séjour en France. Il ne rentra à
Florence qu'en 1266, avec les autres exilés Guelfes. Ce n'est donc
qu'après l'âge de dix-neuf ans que Dante a pu s'entretenir avec lui, car il
ne s'est agi peut-être que d'un commerce plutôt intellectuel et
aflectueux que d'un enseignement proprement dit.
On ne peut pas prendre à la lettre les témoignages excessifs que nous
trouvons dans la Vita nuova de la passion de Dante pour Béatrice. Il ne
faudrait pas nous le représenter, comme on pourrait être tenté de le faire,
passant son temps à courir les rues à la recherche de cette beauté dont
son coeur ne pouvait se détacher. Ce serait, dit M. Del Lungo, en faire
un Dante ridicule.[10]
S'il a pu concevoir dès son enfance une passion qui ne devait jamais
s'éteindre (en dépit d'éclipses passagères), on doit croire que, dans cette
âme extraordinaire, la pensée et l'imagination n'ont pas dû montrer une
moindre précocité.
Le désordre où vivait la société d'alors, les révolutions incessantes que
subissait le gouvernement de son pays, le spectacle humiliant et
scandaleux qu'offrait le gouvernement de l'Église, depuis le trône de
saint Pierre jusqu'aux dernières ramifications du monde ecclésiastique,
ont dû faire éclore de bonne heure, dans cette tête puissante et dans ce
coeur d'une merveilleuse sensibilité, bien des rêves étranges et des
conceptions extraordinaires, s'agiter bien des doutes cuisans, peut-être
même se former déjà des fantasmagories délirantes.
Dante menait pendant cette première jeunesse une vie assez retirée[11],
et ne paraît pas avoir précisément vécu dans le monde, comme nous
entendons ce mot, où peut-être sa situation personnelle ne l'appelait pas,
et dont son propre caractère pouvait l'éloigner. Cependant il avait des
amis parmi les jeunes gens de son âge, et il paraît les avoir choisis
parmi les jeunes littérateurs les plus distingués, les rimeurs, comme on
les appelait alors, et il était lui-même un rimeur.
Du reste, il ne nous éclaire pas lui-même sur son genre de vie et ses
habitudes. On peut remarquer que, soit dans les récits en prose de la
Vita nuova, soit dans les vers qu'ils encadrent, il ne s'écarte pas un
instant de ce qui touche à Béatrice, qu'il s'agisse d'incidens quelconques
ou de sa propre pensée.
Les moeurs étaient sans doute très relâchées à Florence. Boccace nous
dit que c'est un sujet d'étonnément (una piccola maraviglia) qu'alors
qu'on fuyait tout plaisir honnête, et qu'on ne songeait qu'à se procurer
des plaisirs conformes alla propria lascivia, Dante ait pu aimer
autrement.[12] Du reste, le
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