La Vie de M. de Molière | Page 9

Jean-Léonor de Grimarest
cependant de la peine à le croire; c'étoit l'homme du monde qui
travailloit avec le plus de difficulté; et il s'est trouvé que des
divertissements qu'on lui demandoit, étoient faits plus d'un an
auparavant.

* * * * *
On voit dans les remarques de Mr Ménage que «dans la Comédie des
Fâcheux, qui est,» dit-t-il, «une des plus belles de Mr de Molière, le
Fâcheux chasseur qu'il introduit sur la Scène, est Mr de S**: que ce fut
le Roi qui lui donna ce sujet, en sortant de la première représentation de
cette Pièce, qui se donna chez Mr Fouquet.» Sa Majesté, voyant passer
Monsieur de S**, dit à Molière: «Voilà un grand original que vous
n'avez point encore copié.» Je n'ai pu savoir absolument si ce fait est
véritable; mais j'ai été mieux informé que Mr Ménage de la manière
dont cette belle Scène du Chasseur fut faite. Molière n'y a aucune part
que pour la versification; car ne connoissant point la chasse, il s'excusa
d'y travailler. De sorte qu'une personne, que j'ai des raisons de ne pas
nommer, la lui dicta tout entière dans un jardin; et Mr de Molière l'aïant
versifiée, en fit la plus belle Scène de ses Fâcheux, et le Roi prit
beaucoup de plaisir à la voir représenter.
* * * * *
L'École des Femmes parut en 1662, avec peu de succès; les gens de
spectacle furent partagés; les Femmes outragées, à ce qu'elles croyoient,
débauchoient autant de beaux esprits qu'elles le pouvoient, pour juger
de cette Pièce comme elles en jugeoient. «Mais que trouvez-vous à
redire d'essenciel à cette Pièce?» disoit un Connoisseur à un Courtisan
de distinction.--«Ah parbleu! ce que j'y trouve à redire, est plaisant,»
s'écria l'homme de Cour! «Tarte à la crème, morbleu, Tarte à la
crème.--Mais, Tarte à la crème, n'est point un défaut,» répondit le bon
esprit, «pour décrier une Pièce comme vous le faites.--Tarte à la crème,
est exécrable,» répliqua le Courtisan. «Tarte à la crème! bon Dieu!
avec du sens commun, peut-t-on soutenir une Pièce où l'on ait mis
Tarte à la crème?» Cette expression se répétoit par écho parmi tous les
petits esprits de la Cour et de la Ville, qui ne se prêtent jamais à rien, et
qui incapables de sentir le bon d'un Ouvrage, saisissent un trait foible,
pour ataquer un Auteur beaucoup au-dessus de leur portée. Molière,
outré à son tour des mauvais jugemens que l'on portoit sur sa pièce, les
ramassa, et en fit la Critique de l'École des Femmes, qu'il donna en
1663. Cette pièce fit plaisir au Public: elle étoit du tems, et

ingénieusement travaillée.
* * * * *
L'Impromptu de Versailles, qui fut joué pour la première fois devant le
Roi le 14e d'Octobre 1663, et à Paris le 4e de Novembre de la même
année, n'est qu'une conversation satirique entre les Comédiens, dans
laquelle Molière se donne carrière contre les Courtisans, dont les
caractères lui déplaisoient, contre les Comédiens de l'Hôtel de
Bourgogne, et contre ses ennemis.
* * * * *
Molière, né avec des moeurs droites, et dont les manières étoient
simples et naturelles, souffroit impatiemment le Courtisan empressé,
flateur, médisant, inquiet, incommode, faux ami. Il se déchaîne
agréablement dans son Impromptu contre ces Messieurs-là, qui ne lui
pardonnoient pas dans l'ocasion. Il ataque leur mauvais goût pour les
ouvrages: il tâche d'ôter tout crédit au jugement qu'ils fesoient des
siens.
Mais il s'atache sur tout à tourner en ridicule une pièce intitulée le
Portrait du Peintre, que Mr Boursaut avoit faite contre lui; et à faire
voir l'ignorance des Comédiens de l'Hôtel de Bourgogne dans la
déclamation, en les contrefesant tous si naturellement, qu'on les
reconnoissoit dans son jeu. Il épargna le seul Floridor. Il avoit
très-grande raison de charger sur leur mauvais goût. Ils ne savoient
aucuns principes de leur art; ils ignoroient même qu'il en eût. Tout leur
jeu ne consistoit que dans une prononciation ampoulée et emphatique,
avec laquelle ils récitoient également tous leurs rôles; on n'y
reconnoissoit ni mouvemens, ni passion: et cependant les Beauchateau,
les Mondori, étoient aplaudis, parce qu'ils fesoient pompeusement
ronfler un vers. Molière, qui connoissoit l'action par principes, étoit
indigné d'un jeu si mal réglé, et des aplaudissemens que le Public
ignorant lui donnoit. De sorte qu'il s'apliquoit à metre ses Acteurs dans
le naturel; et avant lui, pour le comique, et avant Mr le Baron, qu'il
forma dans le sérieux, comme je le dirai dans la suite, le jeu des
Comédiens étoit pitoïable pour les personnes qui avoient le goût délicat;

et nous nous appercevons malheureusement que la plupart de ceux qui
représentent aujourd'hui, destitués d'étude qui les soutienne dans la
connoissance des principes de leur art, commencent à perdre ceux que
Molière avoit établis dans sa Troupe.
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La différence
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