La Vie de M. de Molière | Page 8

Jean-Léonor de Grimarest
chez les Étrangers, il pouvoit choisir un
sujet qui lui fît plus d'honneur. Le commun des gens ne lui tenoit pas
compte de cette Pièce comme des Précieuses ridicules; les caractères
de celle-là ne les touchoient pas aussi vivement que ceux de l'autre.
Cependant malgré l'envie des Troupes, des Auteurs, et des personnes
inquiètes, le Cocu imaginaire passa avec aplaudissement dans le Public.
Un bon Bourgeois de Paris, vivant bien noblement, mais dans les
chagrins que l'humeur et la beauté de sa femme lui avoient assez

publiquement causés, s'imagina que Molière l'avait pris pour l'original
de son Cocu imaginaire. Ce Bourgeois crut devoir en être offencé; il en
marqua son ressentiment à un de ses amis. «Comment!» lui dit-t-il, «un
petit Comédien aura l'audace de mettre impunément sur le Théâtre un
homme de ma sorte?» (Car le Bourgeois s'imagine être beaucoup plus
au-dessus du Comédien, que le Courtisan ne croit être élevé au-dessus
de lui.) «Je m'en plaindrai,» ajouta-t-il: «en bonne police on doit
réprimer l'insolence de ces gens-là: ce sont les pestes d'une Ville; ils
observent tout pour le tourner en ridicule.» L'ami, qui étoit homme de
bon sens, et bien informé, lui dit: «Eh! Monsieur, si Molière a eu
intention sur vous, en fesant le Cocu imaginaire, de quoi vous
plaignez-vous? Il vous a pris du beau côté; et vous seriez bien heureux
d'en être quitte pour l'imagination.» Le Bourgeois, quoique peu satisfait
de la réponse de son ami, ne laissa pas d'y faire quelque réflexion, et ne
retourna plus au Cocu imaginaire.
* * * * *
Molière ne fut pas heureux dans la seconde Pièce nouvelle qu'il fit
paroître à Paris le 4 Février 1661. Dom-Garcie de Navarre, ou le Prince
jaloux, n'eut point de succès. Molière sentit, comme le Public, le foible
de sa Pièce. Aussi ne la fit-il pas imprimer; et on ne l'a ajoutée à ses
Ouvrages qu'après sa mort.
Ce peu de réussite releva ses ennemis; ils espéroient qu'il tomberoit de
lui-même, et que comme presque tous les Auteurs comiques, il seroit
bien-tôt épuisé. Mais il n'en connut que mieux le goût du tems: il s'y
acommoda entièrement dans l'École des Maris, qu'il donna le 24 Juin
1661. Cette Pièce qui est une de ses meilleures, confirma le Public dans
la bonne opinion qu'il avoit conçue de cet excellent Auteur. On ne
douta plus que Molière ne fût entièrement maître du Théâtre dans le
genre qu'il avoit choisi. Ses envieux ne purent pourtant s'empêcher de
parler mal de son Ouvrage. Je ne vois pas, disoit un Auteur
Contemporain, qui ne réussissoit point, où est le mérite de l'avoir fait:
ce sont les Adelphes de Térence; il est aisé de travailler en y mettant si
peu du sien, et c'est se donner de la réputation à peu de frais. On
n'écoutoit point les personnes qui parloient de la sorte; et Molière eut

lieu d'être satisfait du Public, qui aplaudit fort à sa Pièce; c'est aussi une
de celles que l'on verroit encore représenter aujourd'hui avec le plus de
plaisir, si elle étoit jouée avec autant de feu et de délicatesse qu'elle
l'étoit du tems de l'Auteur.
* * * * *
Les Fâcheux, qui parurent à la Cour au mois d'Août 1661, et à Paris le
4 du mois de Novembre suivant, achevèrent de donner à Molière la
supériorité sur tous ceux de son tems qui travailloient pour le Théâtre
comique. La diversité de caractères dont cette Pièce est remplie, et la
nature que l'on y voyoit peinte avec des traits si vifs, enlevoient tous les
aplaudissements du Public. On avoua que Molière avoit trouvé la belle
Comédie: il la rendoit divertissante et utile. Cependant l'homme de
Cour, comme l'homme de Ville, qui croyoit voir le ridicule de son
caractère sur le Théâtre de Molière, ataquoit l'Auteur de tous côtés. Il
outre tout, disoit-t-on; il est inégal dans ses peintures; il dénoue mal.
Toutes les dissertations malines que l'on fesoit sur ses Pièces, n'en
empêchoient pourtant point le succès; et le Public étoit toujours de son
côté.
* * * * *
On lit dans la Préface, qui est à la tête des Pièces de Molière, qu'elles
n'avoient pas d'égales beautés, parce, dit-on, qu'il étoit obligé
d'assujettir son génie à des Sujets qu'on lui prescrivoit, et de travailler
avec une très-grande précipitation. Mais je sai par de très-bons
mémoires qu'on ne lui a jamais donné de sujets. Il en avoit un magazin
d'ébauchez par la quantité de petites farces qu'il avoit hazardées dans
les Provinces; et la Cour et la Ville lui présentoient tous les jours des
originaux de tant de façons, qu'il ne pouvoit s'empêcher de travailler de
lui-même sur ceux qui frapoient le plus. Et quoiqu'il dise dans sa
Préface des Fâcheux, qu'il ait fait cette Pièce en quinze jours de tems,
j'ai
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