La Vénus dIlle | Page 7

Prosper Mérimée

qui aura fait cette statue. Il n'y a rien de plus sûr.
-- Mais, répliquai-je, je vois sur le bras un petit trou. Je pense qu'il a
servi à fixer quelque chose, un bracelet, par exemple, que ce Myron
donna à Vénus en offrande expiatoire. Myron était un amant
malheureux. Vénus était irritée contre lui: il l'apaisa en lui consacrant
un bracelet d'or. Remarquez que fecit se prend fort souvent pour
consecravit. Cc sont termes synonymes. Je vous en montrerais plus d'un
exemple si j'avais sous la main Gruter ou bien Orelli. Il est naturel
qu'un amoureux voie Vénus en rêve, qu'il s'imagine qu'elle lui
commande de donner un bracelet d'or à sa statue. Myron lui consacra
un bracelet... Puis les barbares ou bien quelque voleur sacrilège...
-- Ah! qu'on voit bien que vous avez fait des romans! s'écria mon hôte
en me donnant la main pour descendre. Non, monsieur, c'est un
ouvrage de l'école de Myron. Regardez seulement le travail, et vous en
conviendrez.»
M'étant fait une loi de ne jamais contredire à outrance les antiquaires
entêtés, je baissai la tête d'un air convaincu en disant:
«C'est un admirable morceau.
-- Ah! mon Dieu, s'écria M. de Peyrehorade, encore un trait de
vandalisme! On aura jeté une pierre à ma statue!»
Il venait d'apercevoir une marque blanche un peu au-dessus du sein de
la Vénus. Je remarquai une trace semblable sur les doigts de la main
droite, qui, je le supposai alors, avaient été touchés dans le trajet de la
pierre, ou bien un fragment s'en était détaché par le choc et avait
ricoché sur la main. Je contai à mon hôte l'insulte dont j'avais été
témoin et la prompte punition qui s'en était suivie. Il en rit beaucoup, et,
comparant l'apprenti à Dio- mède, il lui souhaita de voir, comme le
héros grec, tous ses compagnons changés en oiseaux blancs.
La cloche du déjeuner interrompit cet entretien classique, et, de même

que la veille, je fus obligé de manger comme quatre. Puis vinrent des
fermiers de M. de Peyrehorade; et pendant qu'il leur donnait audience,
son fils me mena voir une calèche qu'il avait achetée à Toulouse pour
sa fiancée, et que j'admirai, cela va sans dire. Ensuite j'entrai avec lui
dans l'écurie, où il me tint une demi-heure à me vanter ses chevaux, à
me faire leur généalogie, à me conter les prix qu'ils avaient gagnés aux
courses du département. Enfin il en vint à me parler de sa future, par la
transition d'une jument grise qu'il lui destinait.
«Nous la verrons aujourd'hui, dit-il. Je ne sais si vous la trouverez jolie.
Vous êtes difficiles, à Paris; mais tout le monde, ici et à Perpignan, la
trouve charmante. Le bon, c'est qu'elle est fort riche. Sa tante de Prades
lui a laissé son bien. Oh! je vais être fort heureux.»
Je fus profondément choqué de voir un jeune homme paraître plus
touché de la dot que des beaux yeux de sa future.
«Vous vous connaissez en bijoux, poursuivit M. Alphonse, comment
trouvez-vous ceci? Voici l'anneau que je lui donnerai demain.»
En parlant ainsi, il tirait de la première phalange de son petit doigt une
grosse bague enrichie de diamants, et formée de deux mains entrelacées;
allusion qui me parut infiniment poétique. Le travail en était ancien,
mais je jugeai qu'on l'avait retouchée pour enchâsser les diamants. Dans
l'intérieur de la bague se lisaient ces mots en lettres gothiques:
Sempr'ab ti, c'est-à-dire, toujours avec toi.
«C'est une jolie bague, lui dis-je; mais ces diamants ajoutés lui ont fait
perdre un peu de son caractère.
-- Oh! elle est bien plus belle comme cela, répondit-il en souriant. Il y a
là pour douze cents francs de diamants. C'est ma mère qui me l'a
donnée. C'était une bague de famille, très ancienne... du temps de la
chevalerie. Elle avait servi à ma grand-mère, qui la tenait de la sienne.
Dieu sait quand cela a été fait.
-- L'usage à Paris, lui dis-je, est de donner un anneau tout simple,
ordinairement composé de deux métaux différents, comme de l'or et du

platine. Tenez, cette autre bague, que vous avez à ce doigt, serait fort
convenable. Celle-ci, avec ses diamants et ses mains en relief, est si
grosse, qu'on ne pourrait mettre un gant par-dessus.
-- Oh! madame Alphonse s'arrangera comme elle voudra. Je crois
qu'elle sera toujours bien contente de l'avoir. Douze cents francs au
doigt, c'est agréable. Cette petite bague-là, ajouta-t-il en regardant d'un
air de satisfaction l'anneau tout uni qu'il portait à la main, celle-là, c'est
une femme à Paris qui me l'a donnée un jour de mardi gras. Ah! comme
je m'en suis donné quand j'étais à Paris, il y a deux ans! C'est là qu'on
s'amuse!...» Et il soupira de regret.
Nous devions dîner ce jour-là à Puygarrig, chez
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