La Tosca | Page 9

Victorien Sardou
=montrant, le tableau.=--Oh! je t'en prie! Fais-lui des yeux
noirs... Cela t'est bien égal, n'est-ce pas? Elle sera tout aussi Madeleine
avec des yeux noirs...
MARIO.--Mon Dieu, si tu y tiens?
FLORIA.--Oui, j'y tiens beaucoup. Comme cela tu ne penseras plus à
l'Attavanti.
MARIO.--Alors, c'est promis...
FLORIA, =l'embrassant.=--Tiens! Je t'adore!

MARIO,--Oh! devant la Madone!
FLORIA.--Oh! Elle est si bonne... Elle ne m'en veut pas... A demain,
trésor adoré!
MARIO.--A demain, amour.
=Floria sort avec Luciana.=
Scène VI
MARIO, ANGELOTTI
=Angelotti sort de, la chapelle dès que la porte est refermée et les
verrous tirés.=
MARIO.--Ah! mon ami, quelle nouvelle!... Cette bataille?
ANGELOTTI.--Hélas! oui! Ceci nous achève!...
MARIO.--Enfin, pensons à vous... On va rouvrir l'église avant l'heure
pour les prières ordonnées... Toute la ville doit être en émoi... Si nous
en profitions pour sortir de la ville avant la fermeture des portes?...
ANGELOTTI.--Sans attendre Trebelli, soit!
MARIO.--Alors...
=Coup de canon au lointain.=
ANGELOTTI, =saisi.=--Ah!
MARIO.--Le signal!... On sait votre évasion!...
ANGELOTTI.--Attendez!... C'est peut-être une salve pour cette
victoire.
=Ils prêtent l'oreille.=

MARIO.--Non!... Vous voyez!... Plus rien!... Un seul coup. C'est bien
votre fuite que l'on signale!... Il n'y a plus à rester ici... Coûte que coûte,
partons... Vite à ce déguisement... Dès que vous serez prêt, sortez par
l'autre grille, dans l'ombre, faites le tour de l'église par ce côté... Moi, je
gagnerai par l'autre la grande porte où je vous attendrai, et nous
sortirons audacieusement, c'est le mieux!... Allez, allez... Voici le
sacristain, et vite, le danger nous talonne!
=Angelotti rentre dans la chapelle dont il ferme la grille et où il
disparaît. Mario saute sur son estrade.=
Scène VII
MARIO, EUSEBE, puis GENNARINO
EUSÈBE, =paraissant par la gauche, au fond, ses clefs à la main, et
allant rouvrir les verrous à droite.=--Votre Excellence a entendu?
MARIO.--Quoi?
EUSÈBE.--Le coup de canon!
MARIO, =indifféremment.=--Ah! oui, n'est-ce pas pour fêter cette
victoire?
EUSÈBE.--Non! Non! C'est quelque jacobin qui se sera évadé du
château Saint-Ange...
MARIO, =de même.=--Peut-être...
GENNARINO, =entrant vivement par la droite, essoufflé.= Sûrement,
Excellence!... Angelotti s'est enfui!
EUSÈBE.--Ah! la canaille!
GENNARINO.--On crie sa fuite par les rues et le signalement avec
promesse de mille piastres pour qui le livrera; et, pour qui lui donnera
asile, la potence.

EUSÈBE,--C'est trop peu!...
GENNARINO.--Un porte-clefs, son complice, a été dénoncé par un
voiturier avec qui il faisait prix, c'est ainsi qu'on a tout découvert!
MARIO.--Et ce porte-clefs est arrêté?
GENNARINO.--Oui, Excellence.
MARIO, =descendant=.--Il a parlé?
GENNARINO.--Oh! sûrement... On l'a mis à la question.
EUSÈBE.--C'est trop peu!...
MARIO, =vivement=.--Ma voiture est là?
=Il désigne la droite.=
GENNARINO.--Oui, Excellence, avec Fabio.
MARIO, =prenant son chapeau.=--Dis à Fabio de faire le tour et d'aller
m'attendre sur la place, devant la grande porte... Après quoi tu viendras
tout mettre en ordre. Allons, vivement, dépêche-toi!
GENNARINO.--Oui, Excellence!
=Il sort en tournant par la droite. Les cierges s'allument au fond et l'on
commence à voir de tous côtés les fidèles, hommes et femmes.=
EUSÈBE, =allant allumer les cierges devant la Madone.=--Alors, Votre
Excellence a déjà entendu parler de cette victoire de Marengo?
MARIO, =anxieux, regardant du côté de la grille.=--Oui!
EUSÈBE, =même jeu, lui tournant le dos et riant.= Joseph est rossé...
Ah! Ah! Qu'est-ce qui a sur les doigts?... C'est Joseph!...
MARIO, =même jeu.=--Joseph?...

EUSÈBE.--Oui... oui... le Bonaparte en carton... Ah! Ah! Celui qui
franchit les Alpes avec ses canons!... Farceur, va! C'est à se tordre!...
=Angelotti paraît vaguement, ouvrant l'autre grille et disparaissant dans
l'ombre.=
MARIO, =à lui-même.=--Enfin!...
EUSÈBE.--Vous dites?...
MARIO.--Rien! =(L'attirant à lui pour détourner son attention.)= Tenez,
père Eusèbe, merci et bonsoir!...
=Il s'en va vivement par le fond, à gauche.=
EUSÈBE.--Il est vexé tout de même, le jacobin!... Trois Pauli!
=(Faisant la grimace.)= C'est trop peu!
=Chants d'église, au fond, très affaiblis, et prières.=
EUSEBE, SCARPIA, SCHIARRONE AGENTS.
Scène VIII
GENNARINO
=Ils entrent par la droite, sur les chants très étouffés qui s'interrompent
et reprennent par intervalles pendant la scène.=
SCARPIA, =après être entré, en silence, et avoir jeté un coup d'oeil, à
mi-voix.=--Gardez toutes les portes! Visitez l'église et faites votre
besogne, sans trop éveiller l'attention. =(Quatre agents remontent
lentement et disparaissent par les deux côtés du fond. Au sacristain qui
descend et le reconnaissant salue jusqu'à terre.)= Viens ça, bonhomme.
Tu es le sacristain?
EUSÈBE, =tremblant.=--Oui, Excellence.
SCARPIA.--Un criminel, évadé du château Saint-Ange, a passé la nuit

dans cette église; il peut y être encore.
EUSÈBE, =tremblant.=--Ah! mon Dieu! Ici!
SCARPIA.--Où est la chapelle des Angelotti?
EUSÈBE.--De ce côté, Excellence. La voici.
SCARPIA, =à Schiarrone.=--Voyez... =(Schiarrone et un agent entrent
dans la chapelle. Murmures de prières au fond. Schiarrone reparaît.)=
Eh bien?...
SCHIARRONE.--Personne, Excellence. La chapelle est vide.
SCARPIA.--Trop tard. L'homme s'est enfui au coup de canon. Aucune
trace de son passage?
SCHIARRONE, =montrant dans les mains de l'autre agent les objets
désignés.=--Pardon, Excellence. Divers objets de toilette. Un miroir,
des ciseaux, des rasoirs... et des cheveux
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