La Tosca | Page 7

Victorien Sardou
femmes si jolies!
MARIO.--Si tu es jalouse aussi des femmes que je peins!
FLORIA.--C'est que je sais bien ce qui se passe entre elles et vous!
MARIO, =riant=--Ah! bon!... Et qu'est-ce qu'il se passe?...
FLORIA.--Vous n'avez pas plut?t fait deux grands yeux �� cette cr��ature que vous vous dites: ?Ah! les beaux yeux!? Et une petite bouche! ?Oh! la jolie bouche!... On y mordrait!? Tant qu'�� la fin, c'est elle que vous admirez, elle que vous aimez, et ce n'est plus moi!...
MARIO, =riant tout en travaillant.=--Ah! bien!
FLORIA.--Et puis, avec quoi fabriquez-vous ces cr��atures-l��? Avec vos souvenirs... ou vos d��sirs!... Des yeux que vous avez beaucoup regard��s... Des l��vres qui vous ont dit: ?Je t'aime!? Ou �� qui vous voudriez le faire dire!... A qui peuvent-ils bien ��tre ces cheveux-l��,--et ces yeux d'un bleu?... Oh! je les connais s?rement!... Je les ai certainement vus quelque part!
=Tout en parlant elle est mont��e sur l'��chafaudage.=
MARIO, =de m��me.=--C'est probable!...
FLORIA, =vivement.=--Ah! c'est donc une vraie femme... Elle existe?...
MARIO.--Cherche!
FLORIA.--J'y suis!... L'Attavanti!...
MARIO.--Oui!... T'y voil��!
FLORIA.--Tu la connais donc?... Tu la vois donc?... O�� la vois-tu?... Chez elle!... Ici!... Chez toi!... Ne mens pas.
MARIO.--Mais...
FLORIA.--Mais parlez donc, r��pondez donc!
MARIO.--Laisse-moi parler!... Je l'ai vue ici, une seule fois, hier, par hasard?
FLORIA.--Oh! par hasard!... fait hasard est admirable!
MARIO.--Par hasard!... Elle est entr��e tandis que j'��tais �� peindre; elle s'est agenouill��e l��, comme toi. A fait sa pri��re, comme toi. Et, avec ses grands yeux de pervenche lev��s au ciel... et ses beaux cheveux blonds!...
FLORIA.--Ses beaux cheveux, c'est bien cela!...
MARIO, =continuant tranquillement.=--Dor��s encore par le soleil couchant, elle ��tait si parfaitement la Madeleine r��v��e qu'en trois coups de pinceau je l'ai fix��e l��, sans qu'elle s'en soit dout��e et que je lui aie m��me adress�� la parole.
FLORIA.--Et pourquoi cette femme, je vous prie, et pas moi?... Je ne ferais pas une Madeleine aussi dor��e qu'elle?
MARIO, =gaiement.=--Ah! bien l��, franchement, tu n'as pas l'air d'une sainte, surtout en ce moment.
FLORIA.--Et elle donc?... Ah! elle est bonne la marquise, avec son aur��ole!... Une farceuse qui trompe son mari et se prom��ne partout avec son amant!...
MARIO.--Pardon!... Ce n'est pas mi amant; mais un sigisb��e, accept�� comme tel, par tout le monde, et par le mari lui-m��me... Donc, il n'est pas tromp��.
FLORIA.--Eh bien, je n'ai pas de mari, moi, ni de sigisb��e!... J'ai un amant que j'aime uniquement et qui est tout pour moi. C'est plus honn��te...
MARIO, =tendrement=.--Aussi, je t'adore!
FLORIA.--Cette effront��e qui vient l�� poser tout expr��s!
MARIO.--Allons, allons, tu en folle. Laissons la marquise.
FLORIA.--Si elle ne ferait pas mieux de convertir son sc��l��rat de fr��re.
MARIO.--Oh! sc��l��rat!
FLORIA.--Oh! naturellement, tu le d��fendras... Un ennemi de Dieu, du roi et du pape!... Un d��magogue, un ath��e!
MARIO, =jetant un coup d'oeil vers Angelotti, par-dessus l'��paule de Floria.=--Oh! l��! l��!
FLORIA, =assise sur la derni��re marche.=--Oui, oh! Oui. Oh! tu plaisantes... Mais c'est bien cela qui me d��sole. C'est que tu aies de si mauvais sentiments, avec, un si bon coeur. Un homme qui lit Voltaire!... Et cet autre encore! dont tu m'as donn�� un-livre, une horreur!...
MARIO.--La Nouvelle H��lo?se?
FLORIA.--Le p��re Caraffa, mon confesseur, �� qui j'en ai parl��, m'a dit: ?Mon enfant, br?lez vite ce livre infame, ou c'est lui qui vous br?lera!?
MARIO, =vivement.=--Et tu l'as br?l��?...
FLORIA.--Non!
MARIO.--Ah! tant mieux. J'y tiens. Un cadeau de Rousseau �� mon p��re.
FLORIA.--Et je l'ai lu!... Et il ne me br?le pas du tout ce livre, mais l��, pas du tout!...
MARIO, =s'asseyant pr��s d'elle sur l'��chafaudage, les jambes pendantes.=--Parbleu!
FLORIA.--Des bavards, ces gens-l��!... Ils parlent tout le temps et ne s'aiment jamais!
MARIO.--Alors, le p��re Caraffa se m��le aussi de tes lectures?
FLORIA.--Naturellement, quand je lui avoue mes p��ch��s.
MARIO.--Et les miens!
FLORIA.--Ce sont les m��mes!... Et, �� ce propos, si tu savais ce qu'il m'a dit de toi!...
MARIO.--Oh! je m'en doute bien... Je suis un sans-culotte, et un buveur de sang!
FLORIA.--Ah! surtout un impie,--et j'en suis assez malheureuse. Ce n'est pas faute de prier Dieu de toute mon ame pour le salut de la tienne.
MARIO, =la serrant contre lui.=--Pauvre bon petit coeur.
FLORIA.--D'autant que le Padre me l'a formellement d��clar��: notre liaison est abominable.
MARIO.--Oh!
FLORIA.--Abominable!... Je l'entends encore: ?Mon enfant, si vous voulez que le ciel l'excuse, faites qu'elle profite �� la conversion de votre ami. Ramenez �� nous cette brebis ��gar��e et Dieu fermera les yeux sur votre faute. L'amour sacr�� purifiera l'amour profane. Et d'abord obtenez de lui qu'il sacrifie cet insigne r��volutionnaire qu'il ��tale effront��ment par les rues avec des airs de d��fi!...?
MARIO.--Quel insigne?...
FLORIA.--Tes moustaches.
MARIO.--Oh!...
FLORIA, =avec douleur.=--Ah! je? lui avais bien promis de te les faire couper!
MARIO.--Tu n'en as pas souffl�� mot.
FLORIA, =de m��me.=--Jamais!
MARIO.--Pourquoi?
FLORIA.--C'est horrible �� dire... Elles te vont si bien!
MARIO.--Ah! Alors!...
FLORIA.--...je t'ai aim�� tout de suite comme cela. Je ne peux pas me faire �� l'id��e de t'aimer autrement, avec un menton ras, comme celui du p��re Caraffa!... Seulement, voil�� bien le chatiment... Je n'ose plus me confesser et lui avouer que les moustaches sont toujours l��, parce que j'ai plaisir �� les
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