La Terre | Page 8

Emile Zola
le bureau d'acajou, un cartonnier et des chaises.
Tout de suite, M. Baillehache s'��tait install�� �� ce bureau, comme �� un tribunal; tandis que les paysans, entr��s �� la queue, h��sitaient, louchaient en regardant les si��ges, avec l'embarras de savoir o�� et comment ils devaient s'asseoir.
--Voyons, asseyez-vous!
Alors, pouss��s par les autres, Fouan et Rose se trouv��rent au premier rang, sur deux chaises; Fanny et Delhomme se mirent derri��re, ��galement c?te �� c?te; pendant que Buteau s'isolait dans un coin, contre le mur, et qu'Hyacinthe, seul, restait debout, devant la fen��tre, dont il bouchait le jour de ses larges ��paules. Mais le notaire, impatient��, l'interpella famili��rement.
--Asseyez-vous donc, J��sus-Christ!
Et il dut entamer l'affaire le premier.
--Ainsi, p��re Fouan, vous vous ��tes d��cid�� �� partager vos biens de votre vivant entre vos deux fils et votre fille?
Le vieux ne r��pondit point, les autres demeur��rent immobiles, un grand silence se fit. D'ailleurs, le notaire, habitu�� �� ces lenteurs, ne se hatait pas, lui non plus. Sa charge ��tait dans la famille depuis deux cent cinquante ans; les Baillehache de p��re en fils s'��taient succ��d�� �� Cloyes, d'antique sang beauceron, prenant de leur client��le paysanne la pesanteur r��fl��chie, la circonspection sournoise qui noient de longs silences et de paroles inutiles le moindre d��bat. Il avait ouvert un canif, il se rognait les ongles.
--N'est-ce pas? il faut croire que vous vous ��tes d��cid��, r��p��ta-t-il enfin, les yeux fix��s sur le vieux.
Celui-ci se tourna, eut un regard sur tous, avant de dire, en cherchant les mots:
--Oui, ?a se peut bien, monsieur Baillehache... Je vous en avais parl�� �� la moisson, vous m'aviez dit d'y penser davantage; et j'y ai pens�� encore, et je vois qu'il va falloir tout de m��me en venir l��.
Il expliqua pourquoi, en phrases interrompues, coup��es de continuelles incidentes. Mais ce qu'il ne disait pas, ce qui sortait de l'��motion refoul��e dans sa gorge, c'��tait la tristesse infinie, la rancune sourde, le d��chirement de tout son corps, �� se s��parer de ces biens si chaudement convoit��s avant la mort de son p��re, cultiv��s plus tard avec un acharnement de rut, augment��s ensuite lopins �� lopins, au prix de la plus sordide avarice. Telle parcelle repr��sentait des mois de pain et de fromage, des hivers sans feu, des ��t��s de travaux br?lants, sans autre soutien que quelques gorg��es d'eau. Il avait aim�� la terre en femme qui tue et pour qui on assassine. Ni ��pouse, ni enfants, ni personne, rien d'humain: la terre! Et voil�� qu'il avait vieilli, qu'il devait c��der cette ma?tresse �� ses fils, comme son p��re la lui avait c��d��e �� lui-m��me, enrag�� de son impuissance.
--Voyez-vous, monsieur Baillehache, il faut se faire une raison, les jambes ne vont plus, les bras ne sont gu��re meilleurs, et, dame! la terre en souffre... ?a aurait encore pu marcher, si l'on s'��tait entendu avec les enfants...
Il jeta un coup d'oeil sur Buteau et sur J��sus-Christ, qui ne boug��rent pas, les yeux au loin, comme �� cent lieues de ce qu'il disait.
--Mais, quoi? voulez-vous que je prenne du monde, des ��trangers qui pilleront chez nous? Non, les serviteurs, ?a co?te trop cher, ?a mange le gain, au jour d'aujourd'hui... Moi, je ne peux donc plus. Cette saison, tenez! des dix-neuf setiers que je poss��de, eh bien! j'ai eu �� peine la force d'en cultiver le quart, juste de quoi manger, du bl�� pour nous et de l'herbe pour les deux vaches... Alors, ?a me fend le coeur, de voir cette bonne terre qui se gate. Oui, j'aime mieux tout lacher que d'assister �� ce massacre.
Sa voix s'��trangla, il eut un grand geste de douleur et de r��signation. Pr��s de lui, sa femme, soumise, ��cras��e par plus d'un demi-si��cle d'ob��issance et de travail, ��coutait.
--L'autre jour, continua-t-il, en faisant ses fromages, Rose est tomb��e le nez dedans. Moi, ?a me casse, rien que de venir en carriole au march��... Et puis, la terre, on ne l'emporte pas avec soi, quand on s'en va. Faut la rendre, faut la rendre... Enfin, nous avons assez travaill��, nous voulons crever tranquilles... N'est-ce pas, Rose?
--C'est ?a m��me, comme le bon Dieu nous voit! dit la vieille.
Un nouveau silence r��gna, tr��s long. Le notaire achevait de se couper les ongles. Il finit par remettre le canif sur son bureau, en disant:
--Oui, ce sont des raisons raisonnables, on est souvent forc�� de se r��soudre �� la donation... Je dois ajouter qu'elle offre une ��conomie aux familles, car les droits d'h��ritage sont plus forts que ceux de la d��mission de biens...
Buteau, dans son affectation d'indiff��rence, ne put retenir ce cri:
--Alors, c'est vrai, monsieur Baillehache?
--Mais sans doute. Vous allez y gagner quelques centaines de francs.
Les autres s'agit��rent, le visage de Delhomme lui-m��me s'��claira, tandis que le p��re et la m��re partageaient aussi cette satisfaction. C'��tait entendu, l'affaire ��tait faite, du moment que ?a co?tait moins.
--Il me reste ��
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 204
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.