La Terre | Page 6

Emile Zola
semblait y avoir grandi. Maintenant, chaque parcelle de la petite culture avait le sien, ils se multipliaient, pullulaient comme de noires fourmis laborieuses, mises en l'air par quelque gros travail, s'acharnant sur une besogne d��mesur��e, g��ante �� c?t�� de leur petitesse; et l'on distinguait pourtant, m��me chez les plus lointains, le geste obstin��, toujours le m��me, cet ent��tement d'insectes en lutte avec l'immensit�� du sol, victorieux �� la fin de l'��tendue et de la vie.
Jusqu'�� la nuit tomb��e, Jean sema. Apr��s le champ du Poteau, ce fut celui des Rigoles et celui des Quatre-Chemins. Il allait, il venait, �� longs pas rythm��s dans les labours; et le bl�� de son semoir s'��puisait, la semence derri��re lui f��condait la terre.

II
La maison de ma?tre Baillehache, notaire �� Cloyes, ��tait situ��e rue Grouaise, �� gauche, en allant �� Chateaudun: une petite maison blanche d'un seul ��tage, au coin de laquelle ��tait fix��e la corde de l'unique r��verb��re qui ��clairait cette large rue pav��e, d��serte en semaine, anim��e le samedi du flot des paysans venant au march��. De loin, on voyait luire les deux panonceaux, sur la ligne crayeuse des constructions basses; et, derri��re, un ��troit jardin descendait jusqu'au Loir.
Ce samedi-l��, dans la pi��ce qui servait d'��tude et qui donnait sur la rue, �� droite du vestibule, le petit clerc, un gamin de quinze ans, ch��tif et pale, avait relev�� l'un des rideaux de mousseline, pour voir passer le monde. Les deux autres clercs, un vieux, ventru et tr��s sale, un plus jeune, d��charn��, ravag�� de bile, ��crivaient sur une double table de sapin noirci, qui composait tout le mobilier, avec sept ou huit chaises et un po��le de fonte, qu'on allumait seulement en d��cembre, m��me lorsqu'il neigeait �� la Toussaint. Les casiers dont les murs ��taient garnis, les cartons verdatres, cass��s aux angles, d��bordant de dossiers jaunes, empoisonnaient la pi��ce d'une odeur d'encre gat��e et de vieux papiers mang��s de poussi��re.
Et, cependant, assis c?te �� c?te, deux paysans, l'homme et la femme, attendaient, dans une immobilit�� et une patience pleines de respect. Tant de papiers, et surtout ces messieurs ��crivant si vite, ces plumes craquant �� la fois, les rendaient graves, en remuant en eux des id��es d'argent et de proc��s. La femme, ag��e de trente-quatre ans, tr��s brune, de figure agr��able, gat��e par un grand nez, avait crois�� ses mains s��ches de travailleuse sur son caraco de drap noir, bord�� de velours; et, de ses yeux vifs, elle fouillait les coins, avec l'��vidente r��verie de tous les titres de biens qui dormaient l��; tandis que l'homme, de cinq ans plus ag��, roux et placide, en pantalon noir et en longue blouse de toile bleue, toute neuve, tenait sur ses genoux son chapeau de feutre rond, sans que l'ombre d'une pens��e animat sa large face de terre cuite, ras��e soigneusement, trou��e de deux gros yeux bleu-fa?ence, d'une fixit�� de boeuf au repos.
Mais une porte s'ouvrit, ma?tre Baillehache, qui venait de d��jeuner en compagnie de son beau-fr��re, le fermier Hourdequin, parut tr��s rouge, frais encore pour ses cinquante-cinq ans, avec ses l��vres ��paisses, ses paupi��res brid��es, dont les rides faisaient rire continuellement son regard. Il portait un binocle et avait le continuel geste maniaque de tirer les longs poils grisonnants de ses favoris.
--Ah! c'est vous, Delhomme, dit-il. Le p��re Fouan s'est donc d��cid�� au partage?
Ce fut la femme qui r��pondit.
--Mais oui, monsieur Baillehache... Nous avons tous rendez-vous, pour tomber d'accord et pour que vous nous disiez comment on fait.
--Bon, bon, Fanny, on va voir... Il n'est qu'une heure �� peine, il faut attendre les autres.
Et le notaire causa un instant encore, demandant le prix du bl�� en baisse depuis deux mois, t��moignant �� Delhomme la consid��ration amicale due �� un cultivateur qui poss��dait une vingtaine d'hectares, un serviteur et trois vaches. Puis, il rentra dans son cabinet.
Les clercs n'avaient pas lev�� la t��te, exag��rant les craquements de leurs plumes; et, de nouveau, les Delhomme attendirent, immobiles. C'��tait une chanceuse, cette Fanny, d'avoir ��t�� ��pous��e par un amoureux honn��te et riche, sans m��me ��tre enceinte, elle qui, pour sa part, n'esp��rait du p��re Fouan que trois hectares environ. Son mari, du reste, ne se repentait pas, car il n'aurait pu trouver une m��nag��re plus intelligente ni plus active, au point qu'il se laissait conduire en toutes choses, d'esprit born��, mais si calme, si droit, que souvent, �� Rognes, on le prenait pour arbitre.
A ce moment, le petit clerc, qui regardait dans la rue, ��touffa un rire entre ses doigts, en murmurant �� son voisin, le vieux, ventru et tr��s sale:
--Oh! J��sus-Christ!
Vivement, Fanny s'��tait pench��e �� l'oreille de son homme.
--Tu sais, laisse-moi faire... J'aime bien papa et maman, mais je ne veux pas qu'ils nous volent; et m��fions-nous de Buteau et de cette canaille d'Hyacinthe.
Elle parlait de ses deux fr��res, elle avait vu par la fen��tre
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 204
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.