navire
marchand de Boston, Columbia, qui lui laissa son nom.
Le rio Columbia arrose une superficie de 196,500 milles carrés. Il suit
une marche irrégulière, plongeant vers le sud, pour remonter à l'ouest à
travers les contrées les plus différentes par leur climat leur sol, leur
production. Froid et glacial au pied des montagnes Rocheuses, il se
précipite avec furie entre des rives profondément escarpées, bondit sur
des roches volcaniques nues, hurle comme une bête fauve contre ses
inexorables barrières, écume, bouillonne, fait rage pour sortir de sa
prison, puis tombe avec un redoublement de fracas d'une cascade
formidable, et promène ensuite ses ondes limpides, bleues comme
l'azur céleste, au sein d'une prairie luxuriante où la nature a rassemblé,
avec amour, tous les trésors de sa fécondité. Alors le Columbia se fait
paisible, majestueux, comme pour admirer cette puissante végétation
dont il est le père nourricier. Ailleurs, il se recueille, se ramasse et
s'élance sous les arceaux d'une sombre forêt de pins géants; plus loin, le
voici qui joue parmi des aiguilles de basalte, hautes comme la nue et
qui réfléchissent leurs pointes effilées dans son miroir de cristal; au
delà il déploie impérialement son manteau liquide dans un lac immense,
enclavé entre des montagnes au front sourcilleux, éternellement drapé
de neige; ailleurs encore, vous le verrez diviser ses forces, envoyer les
unes au sud, les autres à l'ouest, puis se tordre, se rouler comme un
colossal serpent, tantôt entre des rives fleuries, parfumées des plus
suaves arômes, tantôt sur des masses de laves arides, chenues, ou au
milieu de marais fangeux, jusqu'à ce qu'il vienne enfin se marier à
l'océan.
L'estuaire de la Colombie a une largeur de trois lieues. Il est formé par
deux pointes en bec d'oiseau de proie, dont l'une, au sud, est nommée
pointe Adams ou cap Frondoso; l'autre, au nord, cap Rochon ou
Désappointement. Les abords de la pointe Adams sont parsemés d'îlots
charmants, où la faune et la flore des deux pôles se trouvent confondues
dans un heureux mélange. Quant au cap Désappointement, c'est une
montagne arrondie, élevée de cent vingt mètres au-dessus de la mer et
jadis couronnée de pins de la plus grande espèce. Ils atteignent soixante
pieds de circonférence et trois cents de hauteur. L'écorce a plus d'un
pied d'épaisseur. Les Anglais ont abattu les arbres qui ombrageaient le
cap Désappointement, à l'exception de trois, qui furent élagués et
conservés pour servir à guider les navires dans la passe, extrêmement
dangereuse à cause des bancs de sable flottants qui l'encombrent sans
cesse. Le mugissement des vagues contre la barre se fait entendre à
plusieurs lieues de distance. Cette barre occupe une largeur de quinze
cents mètres. Les énormes lames qui la balaient en temps de tourmente,
montent jusqu'à soixante pieds de hauteur. Aussi l'entrée de la
Colombie est-elle fort redoutée des marins; dans leur langage
métaphorique, ils l'ont dénommée le Trou du Diable.
A peine l'a-t-on franchie, cependant, que la scène change et prend une
physionomie ravissante. Des campagnes fertiles, un climat doux et
tempéré, réjouissent les yeux et le coeur. On sent que ce pays, encore
aux trois quarts sauvage, est destiné à devenir un des sièges les plus
florissants de la civilisation.
En 1822, époque de notre récit, les blancs étaient rares sur le littoral de
la Colombie, principalement habité par les Indiens Têtes-Plates.
Néanmoins, quelques établissements y avaient été fondés par les
Américains et les Anglais; mais les différends continuels des deux
nations et l'aversion des Peaux-Rouges pour les Visages-Pâles ne
permettaient guère à ces établissements de prospérer. Leur histoire est,
du reste, aussi brève que lugubre.
En 1809, un Américain d'une intelligence peu commune, d'une volonté
de fer, M. J. Astor fonda une association pour la traite des pelleteries.
Cette association se proposait de faire concurrence à la Compagnie de
la bale d'Hudson, dont les empiètements, par delà les montagnes
Rocheuses, commençaient à inquiéter les Yankees, qui réclamaient,
comme leur propriété, le territoire de la Colombie. La société de M.
Astor prit le titre de Compagnie des fourrures du Pacifique. Plusieurs
agents de la Compagnie canadienne du Nord-Ouest, établie à Montréal,
se joignirent M. Astor, en haine de la Compagnie anglaise de la baie
d'Hudson. De ce nombre fut M. Alexandre M'Kay, ancien compagnon
du célèbre voyageur sir Alexandre M'Kenzie, qui, le premier, chercha
et découvrit une route pour se rendre, par terre, des côtes occidentales
de l'Atlantique à l'océan Glacial.
En vertu de l'acte d'association de la nouvelle Compagnie, une seule
factorerie devait d'abord être établie à l'embouchure du rio Columbia.
Un navire de New-York porterait annuellement des
approvisionnements aux facteurs, se chargerait des pelleteries qu'ils
auraient recueillies, irait ensuite les vendre: à Canton, en Chine, et
rapporterait les produits au lieu d' embarquement.
Le Tonquin inaugura les voyages. Il partit de New-York pendant
l'automne de 1810
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