conduire. La pépite qu'il m'a donnée est bien en or... en or fin... Et cet Indien a disparu à l'heure de partir!... Oh! la destinée, l'implacable destinée me poursuivra donc toujours et partout... Oui, il est des hommes condamnés au malheur, du berceau à la tombe, peut-être même au delà!... Si j'avais de l'or, pourtant! Avec l'or, pas d'obstacles: la fatalité est vaincue!
Poignet-d'Acier s'arrêta, tira de son étui un grain d'or brut pesant environ deux onces, l'examina, et, étendant sa main dans la direction du mont Sainte-Hélène, il s'écria, avec l'accent d'une inébranlable volonté:
--C'est là, là qu'est la mine. J'irai, je la découvrirai, ou... il s'interrompit tout à coup, à l'aspect d'un trappeur qui sortait de la cabane.
--Ah! tu viens me dire que le repas est prêt, mon bon Jacques; mais je n'ai pas faim, fit-il en s'avan?ant vers le trappeur, vieillard blanchi par les ans, quoique d'une apparence robuste et alerte.
--Voilà encore la tristesse qui vous prend, monsieur Villefranche...
--Jacques, répondit Poignet-d'Acier d'un ton qui voulait être sévère, mais qui n'était que mélancolique, je t'ai déjà défendu de m'appeler par ce nom.
--L'habitude, mon cher ma?tre...
--N'en parlons plus. Pour te faire plaisir, je déjeunerai.
Ils entrèrent dans la cabane.
C'était une habitation primitive s'il en fut.
Elle ne différait de celle des Indiens chinouks que parce que le foyer était placé dans un coin, au lieu d'être établi au centre. Des armes et des filets étaient appendus aux parois de la muraille. ?à et là des paquets de pelleterie servaient de siège on étaient empilés les uns sur les autres. A des perches transversales, qui reliaient les quatre murs de la hutte, on avait accroché des quartiers de venaison, des chapelets de poissons boucanés et des bottes de plantes légumineuses.
Une table grossière occupait le milieu.
--Je vous ai, dit Jacques à Poignet-d'Acier, préparé un gateau de kamassas nouvelles. Il est aussi friand que s'il était fait avec de la farine de froment. Go?tez-y, monsieur...
--Encore! tu es incorrigible!
--Puis-je oublier, monsieur Villefranche... Il s'arrêta court, et l'aventurier se mit à rire.
--Continue, mon bon Jacques; tu n'as pas ton pareil ici-bas. Ah! si tous les hommes étaient comme toi, ils ne feraient pas long séjour sur cette terre.
--Vous servirai-je une tranche de saumon?
--Assieds-toi, d'abord, à c?té de moi.
Jacques obéit en se découvrant respectueusement.
--Excellente nature, murmura Poignet-d'Acier. Puis il ajouta en aparté:
--Excellente, oui, mais sans initiative, bonne pour servir, voilà tout!
--Vous savez, monsieur, dit le domestique, que le navire ancré au-dessous du cap Frondoso met à la voile demain matin pour New-York.
--Ah! fit l'aventurier en fron?ant légèrement les sourcils, et il te faut de l'argent pour ton protégé.
--Si monsieur...
--Oui, dit Poignet-d'Acier en tirant une bourse de cuir, voilà cent piastres.
--Merci, monsieur, dit Jacques avec une expression de reconnaissance intraduisible. On m'a écrit qu'il était si beau, qu'il vous ressemblait, le petit Alfred!
--Jacques, s'écria le ma?tre, pour la millième fois, je t'enjoins de ne plus prononcer ce nom-là devant moi!
--Pardon, mon....
--Qu'il n'en soit plus question! Voudrais-tu donc me faire mourir? Ne sais-tu pas que le remords me poursuit? Cette femme m'avait trahi? Mais étais-je en droit de la faire périr de chagrin, lentement, à petit feu... Et ma fille, car c'était ma fille Adèle, j'en suis s?r, mais ne suis-je pas la cause de son empoisonnement? Elle s'est suicidée après sa faute, parce qu'elle redoutait ma sévérité, parce que, peut-être, je l'aurais tuée comme j'ai tué son amant, cet Hermisson [9].
[Note 9: Voir la Huronne.]
--Mais si monsieur voulait revoir les pauvres jumeaux, ses petits-enfants? hasarda le vieux serviteur.
--Ses petits-enfants! tonna Poignet-d'Acier; ses petits-enfants! Que veux-tu dire? Est-ce à moi que tu parles? Les enfants sont les enfants d'un Anglais. Je nie qu'ils aient du sang fran?ais dans les veines! Ma fille était une misérable!... une maudite, comme sa mère!
Après ces mots, articulés d'une voix strangulée, Villefranche se leva, les yeux injectés de sang, le visage en feu et arpenta la cabane à grands pas.
Ayant fait cinq ou six tours, il recomposa son visage, en homme habitué depuis longtemps à refouler ses émotions les plus violentes, et, s'asseyant de nouveau à la table, il tendit la main au vieillard, en lui disant:
--Excuse mon emportement, Jacques. Tu enverras l'argent pour cet enfant; qu'il soit bien soigné; je le reverrai... un jour... oui... Quant à la fille, sa soeur, elle a été abandonnée, n'est-ce pas? Tu me l'as assuré.
Jacques baissa la tête sur sa poitrine sans répondre.
Villefranche prit, sans doute, ce signe pour une affirmation, car il s'écria d'un ton dur:
--Tu es incapable de me mentir; mais si j'apprenais que cette fille re??t, ne f?t-ce qu'un schelling de moi, tu ne recevrais plus un sou, plus un seul pour l'autre! Appuyant ses coudes sur la table, il ensevelit son visage dans ses mains, en murmurant:
--Horrible destinée! Ma mère trompa mon père, ma femme m'a trompé! ma fille était séduite à seize ans. Elle
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