sérénité avait à peine été
troublée un instant.
--Et maintenant, dit-il, il nous faut remettre cette cassette à sa place et
retourner au château.
--Les mains vides? fit piteusement le colonel
--Je n'y retourne pas les mains vides, puisque j'y retourne avec ce billet.
--Quelle somme y avait-il dans le coffret? demanda Mejean.
--Cent vingt-cinq mille francs, répondit Salvato en remettant le coffret à
sa place et en ramenant dessus la terre avec ses pieds.
--Si bien qu'à votre avis, ce billet vaut cent vingt-cinq mille francs?
--Il vaut ce que vaut pour un fils la certitude d'être aimé de son père...
Mais rentrons au château comme je le disais, mon cher colonel, et,
demain, à dix heures, venez me trouver.
--Pour quoi faire?
--Pour recevoir de Luisa une lettre de change de vingt mille francs, à
vue sur la première maison de banque de Naples.
--Vous croyez qu'il y a, dans ce moment-ci, à Naples, une maison de
banque qui payera à vue un billet de vingt mille francs?
--J'en suis sûr.
--Eh bien, moi, j'en doute. Les banquiers ne sont pas si bêtes que de
payer en temps de révolution.
--Vous verrez que ceux-là seront assez bêtes pour payer même en
temps de révolution, et ceux-là pour deux raisons: la première, parce
que c'étaient d'honnêtes gens...
--Et la seconde?
--Parce qu'ils sont morts.
--Ah! ah! c'est sur les Backer, alors?
--Justement.
--En ce cas, c'est autre chose.
--Vous avez confiance?
--Oui.
--C'est bien heureux!
Mejean éteignit sa lanterne. Il avait trouvé un banquier qui, en temps de
révolution, payait à vue une lettre de change: c'était plus que Diogène
ne demandait à Athènes.
Salvato pressa de ses pieds la terre qui recouvrait le coffret. En cas de
retour de son père, l'absence du billet devait lui dire que Salvato était
venu.
Tous deux reprirent le même chemin qu'ils avaient déjà suivi et
rentrèrent au château Saint-Elme aux premiers rayons du jour. Les nuits,
au mois de juin, sont, on le sait, les plus courtes de l'année.
Luisa attendait debout et tout habillée le retour de Salvato: son
inquiétude ne lui avait point permis de se coucher.
Salvato lui raconta tout ce qui s'était passé.
Luisa prit un papier et écrivit dessus un ordre à la maison Backer de
payer, à son débit et à vue, une somme de vingt mille francs.
Puis, tendant le papier à Salvato:
--Tenez, mon ami, dit-elle, portez cela au colonel; le pauvre homme
dormira mieux avec cette lettre de change sous son oreiller. Je sais bien,
ajouta-t-elle en riant, qu'à défaut des vingt mille francs, il lui reste notre
tête; mais je doute que toutes les deux ensemble, une fois coupées, il
les estimât vingt mille francs.
L'espérance de Luisa fut trompée, comme l'avait été celle de Salvato.
Le juge Speciale était arrivé la veille de Procida, où il avait fait pendre
trente-sept personnes, et il avait mis, au nom du roi, le séquestre sur la
maison Backer.
Depuis la veille, les payements avaient cessé.
LXXXVI
LA BIENVENUE DE SA MAJESTÉ
Dès le 25 juin, avant qu'il eût appris de la bouche même de Ruffo que
celui-ci se séparait de la coalition, Nelson avait envoyé au colonel
Mejean l'intimation suivante:
«Monsieur, Son Éminence le cardinal Ruffo et le commandant en chef
de l'armée russe vous ont fait sommation de vous rendre: je vous
préviens que, si le terme qui vous à été accordé est outrepassé de deux
heures, vous devrez en subir les conséquences, et que je n'accorderai
plus rien de ce qui vous a été offert.
»NELSON.»
Pendant les jours qui suivirent cette sommation, c'est-à-dire du 26 au 29,
Nelson fut occupé à faire arrêter les patriotes, à marchander la trahison
du fermier et à faire pendre Caracciolo; mais cette oeuvre de honte
terminée, il put s'occuper de l'arrestation des patriotes qui n'étaient
point encore entre ses mains et du siége du château Saint-Elme.
En conséquence, il fit descendre à terre Troubridge avec treize cents
Anglais, tandis que le capitaine Baillie se joignait à lui avec cinq cents
Russes.
Pendant les six premiers jours, Troubridge fut secondé par son ami le
capitaine Ball; mais, celui-ci ayant été envoyé à Malte, il fut remplacé
par le capitaine Benjamin Hollowel, celui-là même qui avait fait cadeau
à Nelson d'un cercueil taillé dans le grand mât du vaisseau français
l'Orient.
Quoi qu'en aient dit les historiens italiens, une fois acculé au pied de
ses murailles, Mejean, qui, par ses négociations, avait compromis
l'honneur national, voulut sauver l'honneur français.
Il se défendit courageusement, et le rapport à lord Keith, de Nelson, qui
se connaissait en courage, rapport qui commence par ces mots:
«Pendant un combat acharné de huit jours, dans lequel notre artillerie
s'est avancée à cent quatre-vingts yards des fossés...» en est un éclatant
témoignage.
Pendant ces
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