Mejean la moitié de la
somme arrêtée, c'est-à-dire vingt mille francs, en lui promettant le reste
pour la nuit même.
Le colonel Mejean compta les vingt mille francs avec le plus grand soin,
et, comme le compte s'y trouvait, le colonel installa Salvato et Luisa
dans les deux meilleures chambres du château, après avoir enfermé les
vingt mille francs dans le tiroir de son bureau.
Le soir venu, Salvato annonça au colonel Mejean qu'il serait obligé de
faire une course de nuit. Il le priait, en conséquence, de lui donner le
mot d'ordre, afin de pouvoir rentrer au château quand le but de cette
course serait rempli.
Mejean répondit que Salvato, militaire, devait connaître mieux que
personne la rigidité des règlements militaires; qu'il lui était impossible
de confier à qui que ce fût un mot d'ordre qui, tombé dans une oreille
infidèle, pouvait compromettre la sûreté du fort; mais, devinant
pourquoi Salvato demandait à quitter momentanément le fort, il ajouta
qu'il pouvait faire accompagner Salvato d'un de ses officiers, ou, s'il
préférait sa compagnie, l'accompagner lui-même.
Salvato répondit que la compagnie du colonel Mejean lui était on ne
peut plus agréable, et que, si le colonel Mejean était libre, cette course
aurait lieu la nuit même.
La chose était impossible, le lieutenant-colonel auquel la garde du
château devait être confiée ne devant revenir que dans la journée du
surlendemain.
Le colonel ajouta fort galamment, au reste, que, si c'était pour le
payement des vingt mille francs, il pouvait, ayant un gage vivant entre
les mains, et la moitié du prix convenu étant donnée d'avance, il
pouvait attendre quelques jours.
Salvato répondit que les bons comptes faisaient les bons amis, et que
plus tôt il pourrait donner au colonel les vingt-mille francs restants,
mieux vaudrait pour tous deux.
La vérité était que le colonel Mejean avait réservé la prochaine nuit à
un négociation personnelle.
Il voulait tenter auprès du cardinal Ruffo une seconde ouverture, et, en
conséquence, lui avait fait demander un sauf-conduit pour un de ses
officiers, chargé de nouvelles propositions pour la reddition du fort.
Cet officier, c'était lui-même.
On ne nous accusera point de ménager nos compatriotes. Il s'est trouvé,
du commissaire Feypoult au colonel Mejean, dans toute cette affaire de
la conquête de Naples, quelques misérables comme les bureaux en
dégorgent toujours à la suite des armées; et, de même que nous avons
glorifié ceux qui avaient droit à la gloire, il faut que nous jetions la
honte à la face de ceux qui n'ont droit qu'à la honte.
Le devoir du cardinal Ruffo était d'accueillir toutes les ouvertures ayant
pour but de ménager l'effusion du sang. Il envoya donc, à l'heure
convenue, c'est-à-dire à dix heures du soir, le marquis Malaspina,
porteur du sauf-conduit, et lui donna une escorte de dix hommes pour
le faire respecter.
Le colonel Mejean revêtit un habit bourgeois, se donna à lui-même
pleins pouvoirs pour traiter, et, sous le titre de secrétaire du
commandant du fort, suivit le marquis Malaspina et ses dix hommes.
A onze heures, après être descendu par l'Infrascata, la rue Floria et la
route de l'Arenaccia, jusqu'au pont de la Madeleine, le faux secrétaire
arrivait à la maison du cardinal et était introduit près de Son Éminence.
Cette entrevue avait lieu--forcé que nous sommes de revenir en arrière
par les divers embranchements des nombreux épisodes de notre
histoire--dans la nuit du 27 au 28 juin, avant que la cardinal connût le
manque de foi de Nelson, mais quand, au contraire, ayant reçu dans la
journée, des capitaines Troubridge et Ball, l'assurance que l'amiral ne
s'opposait point à l'embarquement, il croyait encore à la fidèle
observance des traités.
Seulement, nous l'avons dit, le colonel Mejean avait déjà fait une
première tentative auprès du cardinal, tentative qui avait été repoussée
par cette simple réponse: «Je fais la guerre avec du fer et non avec de
l'or!»
Le cardinal Ruffo, déjà prévenu contre Mejean, fit donc médiocre
visage à son secrétaire, ou plutôt, sans s'en douter, à lui-même:
--Eh bien, monsieur, lui dit-il, êtes-vous chargé de me faire de vive
voix des propositions, je ne dirai pas plus raisonnables, mais plus
militaires que celles qui m'avaient été faites par écrit, et auxquelles
vous connaissez sans doute ma réponse?
Mejean se mordit les lèvres.
--Mes propositions, c'est-à-dire celles du colonel Mejean, que j'ai
l'honneur de représenter près de Votre Éminence, dit-il, ont deux faces:
l'une spécifique, et par laquelle l'humanité m'ordonne de débuter; l'autre
militaire, à laquelle le colonel ne recourra qu'à la dernière extrémité,
mais à laquelle il recourra si Votre Éminence l'y force.
--J'écoute, monsieur.
--Mes collègues, ou plutôt les collègues du colonel Mejean, le
commandant Massa et le commandant L'Aurora, ont traité et ont fait et
obtenu les conditions que des rebelles pouvaient faire et doivent être
trop contents d'avoir obtenues.
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