phrase. Cette communication
était-elle l'accomplissement d'un devoir, ou simplement une insulte.
En tout cas, c'était un défi.
Ruffo y vit une insulte.
En effet, seul, comme vicaire général, seul, comme aller ego du roi,
Ruffo avait le droit de vie et de mort dans le royaume des Deux-Siciles.
D'où venait donc que cet intrus, cet étranger, cet Anglais, dans le port
de Naples, sous ses yeux, pour le défier sans doute,--après avoir déchiré
la capitulation, après avoir, à l'aide d'une équivoque indigne d'un soldat
loyal, fait conduire sous le feu des vaisseaux les tartanes qui portaient
les prisonniers,--condamnait à mort, et à une mort infâme, un prince
napolitain, plus grand que lui par la naissance, égal à lui par la dignité?
Qui avait donné à ce juge improvisé de pareils pouvoirs?
En tout cas, si ces pouvoirs avaient été donnés à un autre, les siens
étaient annulés.
Il est vrai que les gibets étaient dressés à Ischia; mais lui, Ruffo, n'avait
rien à faire avec les îles. Les îles n'avaient point, comme Naples, été
reconquises par lui; elles l'avaient été par les Anglais. Il n'y avait point
de traité avec les îles. Enfin, le bourreau de Procida, Speciale, était un
juge sicilien envoyé par le roi, et qui, conséquemment, condamnait
légalement au nom du roi.
Mais Nelson, sujet de Sa Majesté Britannique George III, comment
pouvait-il condamner au nom de Sa Majesté Sicilienne Ferdinand Ier?
Ruffo laissa tomber sa tête dans sa main. Un instant, tout ce que nous
venons de dire se heurta et bouillonna dans son cerveau; puis, enfin, sa
résolution fut prise. Il saisit une plume, et écrivit au roi la lettre
suivante:
A Sa Majesté le roi des Deux-Siciles.
«Sire,
»L'oeuvre de la restauration de Votre Majesté est accomplie, et j'en
bénis le Seigneur.
»Mais c'est à la suite de beaucoup de peines et de longues fatigues que
cette restauration s'est accomplie.
»Le motif qui m'avait fait prendre la croix d'une main et l'épée de
l'autre n'existe plus.
»Je puis donc--je dirai plus--je dois donc rentrer dans cette obscurité
dont je ne suis sorti qu'avec la conviction de servir les desseins de Dieu
et dans l'espérance d'être utile à mon roi.
»D'ailleurs, l'affaiblissement de mes facultés physiques et morales m'en
fait un besoin, quand ma conscience ne m'en ferait pas un devoir.
»J'ai donc l'honneur de supplier Votre Majesté de vouloir bien accepter
ma démission.
»J'ai l'honneur d'être avec un profond respect, etc.
»F. cardinal RUFFO.»
A peine cette lettre était-elle expédiée à Palerme par un messager sûr et
qui était autorisé à requérir au besoin la première barque venue pour
passer en Sicile, qu'il fut donné au cardinal avis de la publication de la
note de Nelson, note dans laquelle l'amiral anglais accordait
vingt-quatre heures aux républicains de la ville, et quarante-huit à ceux
des environs de la capitale, pour faire leur soumission au roi Ferdinand.
Au premier regard qu'il jeta sur cette note, il reconnut celle qu'il avait
refusé à Nelson de faire imprimer. Cette note, comme tout ce qui sortait
de la plume de l'amiral anglais, portait le caractère de la violence et de
la brutalité.
En lisant cette note et en voyant le pouvoir que s'y attribuait Nelson, le
cardinal se félicita d'autant plus d'avoir envoyé sa démission.
Mais, le 3 juillet, il recevait de la reine cette lettre, qui lui annonçait
que sa démission était refusée:
«J'ai reçu et lu avec le plus grand intérêt et la plus profonde attention la
très-sage lettre de Votre Éminence, en date du 29 juin.
»Tout ce que je pourrais dire à Votre Éminence des sentiments de
gratitude dont mon coeur sera éternellement rempli à son égard resterait
de beaucoup au-dessous de la vérité. J'apprécie ensuite ce que Votre
Éminence me dit à l'endroit de sa démission et de son désir de repos.
Mieux que personne, je sais combien la tranquillité est chose désirable,
et combien ce calme devient précieux après avoir vécu au milieu des
agitations et de l'ingratitude que porte avec soi le bien que l'on fait.
»Elle l'éprouve depuis quelques mois seulement, Votre Éminence:
qu'elle sache donc combien je dois être plus fatiguée, moi qui l'éprouve
depuis vingt-deux ans! Non, quoi que dise Votre Éminence, je ne puis
admettre son affaiblissement; car, quel que soit son dégoût, les
admirables actions qu'elle a accomplies et la série de lettres à moi
écrites avec tant de finesse et de talent prouvent, au contraire, toute la
force et toute la puissance de ses facultés. C'est donc à moi, au lieu
d'accepter cette fatale démission donnée par Votre Éminence dans un
moment de fatigue, d'éperonner, au contraire, votre zèle, votre
intelligence et votre coeur à terminer et à consolider l'oeuvre si
glorieusement entreprise par vous, et à la poursuivre en rétablissant
l'ordre à Naples, sur une base si sûre
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