quoiqu'il soit bien différent: je viens de revoir mon père!
»Ce qu'il est et où il est, c'est un secret que je dois garder, même
vis-à-vis de vous, mais que néanmoins je vous dirais bien certainement
si j'étais près de vous. Un secret pour vous! En vérité, j'en ris
moi-même. Est-ce qu'on a des secrets pour sa seconde âme?
»Je viens de passer une nuit, depuis neuf heures du soir jusqu'à six
heures du matin avec mon père, que, depuis dix ans, je n'avais pas vu.
Toute la nuit, il m'a parlé de la mort et de Dieu; toute la nuit, je lui ai
parlé de mon amour et de vous.
»C'est à la fois, chose rare, un esprit élevé et un coeur tendre que mon
père. Il a beaucoup aimé, beaucoup souffert, et, plaignez-le, il ne croit
pas.
»Priez pour le père, cher ange du fils, et Dieu, qui ne doit avoir rien à
vous refuser, lui accordera peut-être la foi.
»Une autre femme que vous, Luisa, se serait déjà étonnée de ne pas
avoir trouvé vingt fois dans ces lignes le mot: «Je vous aime!» Vous
l'avez déjà lu cent fois, vous, n'est-ce pas? Vous parler de mon père,
dont je ne puis parler à personne, vous dire ma joie de l'avoir revu, vous
le comprenez bien, n'est-ce pas? c'est mettre mon coeur dans vos mains,
et c'est vous dire à deux genoux: «Je vous aime, ma Luisa! je vous
aime!»
»Me voilà donc à vingt lieues de vous, ma belle fée du Palmier, et,
quand vous recevrez cette lettre, j'en serai plus rapproché encore. Les
brigands nous harcèlent, nous assassinent, nous mutilent, mais ne nous
arrêtent point. C'est que nous ne sommes point une armée, c'est que
nous ne sommes point des hommes en marche pour envahir un
royaume et conquérir une capitale: nous sommes une idée faisant le
tour du monde.
»Bon! voilà que je parle politique!
»Je parie que je devine où vous lisez ma lettre. Vous la lisez dans notre
chambre, assise au chevet de mon lit, dans cette chambre où nous nous
reverrons et ou j'oublierai, en vous revoyant, les longs jours passés loin
de vous...»
Luisa s'interrompit: les larmes lui voilaient les yeux, les sanglots lui
coupaient la voix.
Michele courut à elle et se mit à ses genoux.
--Voyons, petite soeur, lui dit-il, du courage! C'est beau, ce que tu fais,
et le bon Dieu t'en récompensera. Et qui sait, mon Dieu! vous êtes
jeunes tous deux: peut-être, un jour, vous reverrez-vous.
Luisa secoua la tête.
--Non, non, dit-elle avec un mouvement qui fit pleuvoir les larmes de
ses yeux fermés; non, nous ne nous reverrons jamais. Et il vaut mieux
que je ne le revoie pas; je l'aime trop, Michele, et ce n'est que depuis
que j'ai décidé de ne plus le revoir que je sais combien je l'aime.
--Enfin, tu sais, dit Michele, il y a dans ta douleur quelque chose de bon
à ce que tu ne le revoies pas; il y avait, au bout de votre amour, une
triste prédiction de Nanno.
--Oh! s'écria Luisa, que m'importeraient toutes les prédictions du
monde si je pouvais l'aimer sans crime!
--Voyons, lis, lis; cela vaudra mieux, dit Michele.
--Non, dit Luisa mettant la lettre à moitié lue dans sa poitrine, non, s'il
me parlait trop du bonheur qu'il aura de me revoir, peut-être ne
partirais-je pas!
En ce moment, on entendit la voix de San-Felice qui appelait Luisa.
La jeune femme s'élança dans le corridor, dont Michele ferma la porte
derrière elle et derrière lui.
La porte de la salle à manger donnant sur le salon était ouverte; dans le
salon, était le docteur Cirillo.
Une vive rougeur monta aux joues de Luisa. Le docteur Cirillo, lui
aussi, était dans son secret. D'ailleurs, elle n'ignorait point que c'était
par les mains du comité libéral, dont Cirillo faisait partie, que lui
parvenaient les lettres de Salvato.
--Chère amie, dit le chevalier à Luisa, voici notre bon docteur, que nous
n'avions pas vu depuis longtemps, qui vient prendre des nouvelles de ta
santé; j'espère qu'il en sera content.
Le docteur salua la jeune femme et s'aperçut, au premier coup d'oeil, du
trouble moral qui l'agitait.
--Elle va mieux, dit-il, mais elle n'est point encore guérie, et je suis
enchanté d'être venu aujourd'hui.
Le docteur appuya sur le mot aujourd'hui; Luisa baissa les yeux.
--Allons, dit San-Felice, il faut encore que je vous laisse seul avec elle.
En vérité, vous autres médecins, vous avez des priviléges que les maris
eux-mêmes n'ont pas. Heureusement pour vous, j'ai quelque chose à
faire; sans quoi, bien certainement j'écouterais à la porte.
--Et vous auriez tort, mon cher chevalier, dit Cirillo; car nous avons à
nous dire des choses de la plus haute importance politique; n'est-ce pas,
ma chère
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.