La San-Felice, Tome III | Page 8

Alexandre Dumas, père
l'aimer et que cet amour serait cause de ta mort?
--Michele! Michele! s'écria la jeune femme en écartant son fauteuil du lit, tandis que Giovannina avan?ait sa tête pale derrière le rideau rouge de la fenêtre.
Le blessé regarda attentivement Michele et Luisa.
--Comment! demanda-t-il à Luisa, on vous a prédit que je serais cause de votre mort?
--Ni plus ni moins! dit Michele.
--Et, ne me connaissant pas, ne pouvant par conséquent prendre aucun intérêt à moi, vous n'avez pas laissé les sbires faire leur métier?
--Ah bien, oui! dit Michele répondant pour Luisa, quand elle a entendu les coups de pistolet, quand elle a entendu le cliquetis des sabres, quand elle a vu que moi, un homme, et un homme qui n'a pas peur, je n'osais pas aller à votre secours parce que vous aviez affaire aux sbires de la reine, elle a dit: ?Alors, c'est à moi de le sauver!? Et elle s'est élancée dans le jardin. Si vous l'aviez vue, Excellence! elle ne courait pas, elle volait.
--Oh! Michele! Michele!
--Tu n'as pas fait cela, petite soeur? tu n'as pas dit cela?
--Mais à quoi bon le redire? s'écria Luisa en se cachant la tête entre ses deux mains.
Salvato étendit le bras et écarta les mains dans lesquelles la jeune femme cachait son visage rouge de honte et ses yeux humides de larmes.
--Vous pleurez! dit-il; avez-vous donc regret maintenant de m'avoir sauvé la vie?
--Non; mais j'ai honte de ce que vous a dit ce gar?on; on l'appelle Michele le Fou, et, à coup s?r, il est bien nommé.
Puis, à la camériste:
--J'ai eu tort, Nina, de te gronder de ne point l'avoir laissé entrer; tu avais bien fait de lui refuser la porte.
--Ah! petite soeur! petite soeur! ce n'est pas bien, ce que tu fais là, dit le lazzarone, et, cette fois, tu ne parles pas avec ton coeur.
--Votre main, Luisa, votre main! dit le blessé d'une voix suppliante.
La jeune femme à bout de forces, brisée par tant de sensations différentes, appuya sa tête au dossier du fauteuil, ferma les yeux et laissa tomber sa main frissonnante dans la main du jeune homme.
Salvato la saisit avec avidité; Luisa poussa un soupir: ce soupir confirmait tout ce qu'avait dit le lazzarone.
Michele regardait cette scène à laquelle il ne comprenait rien, et qu'au contraire comprenait trop Giovannina debout, les mains crispées, l'oeil fixe, et pareille à la statue de la Jalousie.
--Eh bien, sois tranquille, mon gar?on, dit Salvato d'une voix joyeuse, c'est moi qui te donnerai ton sabre de colonel; pas celui avec lequel j'ai houspillé les dr?les qui m'attaquaient, ils me l'ont pris, mais un autre et qui vaudra celui-là.
--Eh bien, voilà qui va pour le mieux, dit Michele; il ne me manque plus que le brevet, les épaulettes, l'uniforme et le cheval.
Puis, se retournant vers la camériste:
--N'entends-tu pas, Nina? on sonne à arracher la sonnette!
Nina sembla s'éveiller.
--On sonne? dit-elle; et où cela?
--A la porte, il faut croire.
--Oui, à celle de la maison, dit Luisa.
Puis, rapidement et tout bas à Salvato:
--Ce n'est pas mon mari, ajouta-t-elle, il rentre toujours par celle du jardin. Va, dit-elle à Nina, cours! je n'y suis pas, tu entends?
--Petite soeur n'y est pas, tu entends, Nina? répéta Michele.
Nina sortit sans répondre.
Luisa se rapprocha du blessé; elle se sentait, sans savoir pourquoi, plus à l'aise sous la parole du bavard Michele que sous le regard de la muette Nina; mais cela, nous le répétons, instinctivement, sans qu'elle e?t rien scruté des bons sentiments de son frère de lait, ou des mauvais instincts de sa camériste.
Au bout de cinq minutes, Nina rentra, et, s'approchant mystérieusement de sa ma?tresse:
--Madame, lui dit-elle tout bas, c'est M. André Backer, qui demande à vous parler.
--Ne lui avez-vous pas dit que je n'y étais point? répliqua Luisa assez haut pour que Salvato, s'il n'avait point entendu la demande, p?t au moins entendre la réponse.
--J'ai hésité, madame, répondit Nina toujours à voix basse, d'abord parce que je sais que c'est votre banquier, et ensuite parce qu'il a dit que c'était pour une affaire importante.
--Les affaires importantes se règlent avec mon mari, et non point avec moi.
--Justement, madame, continua Giovannina sur le même diapason; mais j'ai eu peur qu'il ne rev?nt quand M. le chevalier y serait; qu'il ne dit à M le chevalier qu'il n'avait point trouvé madame, et, comme madame ne sait pas mentir, j'ai pensé qu'il valait mieux que madame le re??t.
--Ah! vous avez pensé?... dit Luisa regardant la jeune fille.
Nina baissa les yeux.
--Si j'ai eu tort, madame, il est encore temps; mais cela lui fera bien de la peine, pauvre gar?on!
--Non, dit Luisa après un instant de réflexion, mieux vaut en effet que je le re?oive, et tu as bien fait, mon enfant.
Puis, se tournant vers Salvato, qui s'était écarté voyant que Giovannina parlait bas à sa ma?tresse:
--Je reviens dans un instant, lui dit-elle; soyez tranquille, l'audience
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