passé la jeune et brillante période de la vie, avait conservé des restes remarquables de beauté; sa taille, plut?t grande que petite, commen?ait à s'épaissir sous un embonpoint que sa grande fra?cheur e?t pu faire accuser de précocité si quelques rides profondes, creusées sur l'ivoire d'un front large et dominateur, plus encore par les préoccupations de la politique et la pesanteur de la couronne que par l'age lui-même, n'avaient révélé les quarante-cinq ans qu'elle était sur le point d'atteindre; ses cheveux blonds, d'une finesse rare, d'une nuance charmante, encadraient admirablement un visage dont l'ovale primitif s'était légèrement déformé sous les contractions de l'impatience et de la douleur. Ses yeux bleus, fatigués et distraits, jetaient, lorsque la pensée venait tout à coup les animer, un feu sombre et, en quelque sorte, électrique, qui, après avoir été le reflet de l'amour, puis la flamme de l'ambition, était devenu l'éclair de la haine; ses lèvres humides et carminées, dont l'inférieure, plus avancée que la supérieure, donnait dans certains moments une indicible expression de dédain à son visage, s'étaient séchées et avaient pali sous les morsures incessantes de dents toujours belles et éclatantes comme des perles. Le nez et le menton étaient restés d'une pureté grecque; le cou, les épaules et les bras demeuraient irréprochables.
Cette femme, c'était la fille de Marie-Thérèse, la soeur de Marie-Antoinette; c'était Marie-Caroline d'Autriche, la reine des Deux-Siciles, l'épouse de Ferdinand IV, que, pour des raisons que nous verrons se développer plus tard, elle avait pris en indifférence d'abord, puis en dégo?t, puis en mépris. Elle en était à cette troisième phase, qui ne devait pas être la dernière, et les nécessités politiques rapprochaient seules les illustres époux, qui, en dehors de cela, vivaient complétement séparés, le roi chassant dans ses forêts de Lincola, de Persano, d'Astroni, et se reposant dans son harem de San-Leucio la reine faisant de la politique, à Naples, à Caserte ou à Portici, avec son ministre Acton, ou se reposant sous les berceaux d'orangers avec sa favorite Emma Lyonna, en ce moment couchée à ses pieds, comme une esclave reine.
Il suffisait, au reste, de jeter un regard sur cette dernière pour comprendre non-seulement la faveur tant soit peu scandaleuse dont elle jouissait près de Caroline, mais encore les enthousiasmes frénétiques soulevés par cette enchanteresse chez les peintres anglais, qui la représentèrent sous toutes les formes, et les po?tes napolitains qui la chantèrent sur tous les tons; si la nature humaine peut arriver à la perfection de la beauté, certes Emma Lyonna avait atteint à cette perfection. Sans doute, dans ses intimités avec quelque moderne Sappho, elle avait hérité de cette essence précieuse donnée à Phaon par Vénus, pour se faire irrésistiblement aimer; l'oeil étonné semblait, en se fixant sur elle, ne distinguer d'abord les contours de ce corps admirable qu'à travers la vapeur de volupté qui émanait de lui; puis, peu à peu, le regard per?ait le nuage et la déesse transparaissait.
Essayons de peindre cette femme, qui descendit dans les ab?mes les plus profonds de la misère et atteignit les plus splendides sommets de la prospérité, et qui, à l'époque où elle nous appara?t, e?t pu rivaliser d'esprit, de grace et de beauté avec la Grecque Aspasie, l'égyptienne Cléopatre et la Romaine Olympia.
Elle était ou du moins paraissait arrivée à cet age qui donne à la femme l'apogée des accomplissements physiques; sa personne, lorsque l'oeil essayait de la détailler, offrait au regard comme un éblouissement successif; ses cheveux chatains encadraient un visage rond comme celui de la jeune fille qui touche à peine à la puberté; ses yeux irisés, dont il e?t été impossible de déterminer la couleur, étincelaient sous deux sourcils que l'on e?t crus dessinés par le pinceau de Rapha?l; son cou flexible et blanc comme celui du cygne; ses épaules et ses bras, dont la souplesse, la douce rondeur, la grace charmante rappelaient, non pas les froides créations du ciseau antique, mais les marbres suaves et palpitants de Germain Pilon, le disputaient à ces marbres mêmes en fermeté et en veines d'azur; la bouche, semblable à celle de cette princesse, filleule d'une fée, qui à chaque parole laissait tomber une perle, et à chaque sourire un diamant, semblait un inépuisable écrin de baisers d'amour. Faisant contraste avec la parure toute royale de Marie-Caroline, elle était vêtue d'une longue et simple tunique de cachemire blanc à larges manches, échancrée à la grecque dans sa partie supérieure, serrée et plissée à la taille, libre de toute autre étreinte, par une ceinture de maroquin rouge, brodée d'or, incrustée de rubis, d'opales, de turquoises, et s'agrafant par un splendide camée représentant le portrait de sir William Hamilton; elle s'enveloppait comme d'un manteau d'un large chale indien, aux couleurs changeantes et à fleurs d'or, qui plus d'une fois, dans les soirées intimes de la reine, lui avait
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.