La San-Felice, Tome I | Page 4

Alexandre Dumas, père
d'Ascoli de ce trait peu ordinaire de dévouement monarchique, et, tant qu'il vécut, il ne cessa jamais de lui donner des preuves éclatantes de sa faveur; mais, par une singularité que peut seulement expliquer le caractère de ce prince, il lui arrivait souvent de persifler le duc sur son dévouement, tandis qu'il se raillait sur sa propre poltronnerie.
?J'étais un jour en tiers avec ce seigneur chez la duchesse de Floridia, au moment où le roi vint lui offrir le bras pour la mener d?ner. Simple ami sans importance de la ma?tresse du lieu, et me sentant trop honoré de la présence du nouvel arrivé, je marmottais entre mes dents le Domine, non sum dignus, et je reculais même de quelques pas, lorsque la noble dame, tout en donnant un dernier regard à sa toilette, se prit à faire l'éloge du duc et de son attachement pour la personne de son royal amant.
?--Il est sans contredit, lui disait-elle, votre ami véritable, le plus dévoué de vos serviteurs, etc., etc.
?--Oui, oui, donna Lucia, répondit le roi. Aussi demandez à Ascoli quel est le tour que je lui ai joué quand nous nous sauvames d'Albano.
?Et puis il lui rendait compte du changement d'habits et de la manière dont ils s'étaient acquittés de leurs r?les, et il ajoutait, les larmes aux yeux et en riant de toute la force de ses poumons:
?--C'était lui le roi! Si nous eussions rencontré les jacobins, il était pendu, et moi, j'étais sauvé!
?Tout est étrange dans cette histoire: étrange défaite, étrange fuite, étrange proposition, étrange révélation de ces faits, enfin, devant un étranger, car tel j'étais pour la cour et surtout pour le roi, auquel je n'avais parlé qu'une fois ou deux.
?Heureusement pour l'humanité, la chose la moins étrange, c'est le dévouement de l'honnête courtisan.?
Maintenant, l'esquisse que nous tra?ons d'un des personnages de notre livre, personnage à la ressemblance duquel nous craignons que l'on ne puisse croire, serait incomplète si nous ne voyions ce pulcinella royal que sous son c?té lazzarone; de profil, il est grotesque; mais, de face, il est terrible.
Voici, traduite textuellement sur l'original, la lettre qu'il écrivait à Ruffo, vainqueur et près d'entrer à Naples; c'est une liste de proscriptions dressée à la fois par la haine, par la vengeance et par la peur:
?Palerme, 1er mai 1799.
?Mon très-éminent,
?Après avoir lu et relu, et pesé avec la plus grande attention le passage de votre lettre du 1er avril, relatif au plan à arrêter sur le destin des nombreux criminels tombés ou qui peuvent tomber dans nos mains, soit dans les provinces, soit lorsque, avec l'aide de Dieu, la capitale sera rendue à ma domination, je dois d'abord vous annoncer que j'ai trouvé tout ce que vous me dites à ce sujet plein de sagesse, et illuminé de ces lumières, de cet esprit et de cet attachement dont vous m'avez donné et me donnez continuellement des preuves non équivoques.
?Je viens donc vous faire conna?tre quelles sont mes dispositions.
?Je conviens avec vous qu'il ne faut pas être trop acharné dans nos recherches, d'autant plus que les mauvais sujets se sont fait si ouvertement conna?tre, que l'on peut en fort peu de temps mettre la main sur les plus pervers.
?Mon intention est donc que les suivantes classes de coupables _soient arrêtées et d?ment gardées_:
?_Tous ceux du gouvernement provisoire et de la commission exécutive et législative de Naples;_
?_Tous les membres de la commission militaire et de la police formée par les républicains;_
?_Tous ceux qui ont fait partie des différentes municipalités et qui, en général, ont re?u une commission de la république ou des Fran?ais;_
?_Tous ceux qui ont souscrit à une commission ayant en vue de faire des recherches sur les prétendues dilapidations et malversations de mon gouvernement;_
?_Tous les officiers qui étaient à mon service et qui sont passés à celui de la soi-disant république ou des Fran?ais._ Il est bien entendu que, dans le cas où mes officiers seraient pris les armes à la main contre mes armées ou contre celles de mes alliés, _ils seront, dans le terme de vingt-quatre heures, fusillés sans autre forme de procès, ainsi que tous les barons qui se seront opposés par les armes à mes soldats ou à ceux de mes alliés_;
?_Tous ceux qui ont fondé des journaux républicains ou imprimé des proclamations et autres écrits, comme par exemple des ouvrages pour exciter mes peuples à la révolte et répandre les maximes du nouveau gouvernement._
?_Seront également arrêtés les syndics des villes et les députés des places qui enlevèrent le gouvernement à mon vicaire le général Pignatelli, ou s'opposèrent à ses opérations, et prirent des mesures en contradiction avec la fidélité qu'ils nous doivent_.
?Je veux également que l'on arrête une certaine Louisa Molina San-Felice _et un nommé Vincenzo Cuoco, qui découvrirent la contre-révolution que voulaient faire les royalistes, à la tête desquels étaient les Backer
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